Steve Haldeman

La liberté d’expression

La liberté d'expression

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Liberté, égalité, fraternité. Telle est la devise de la France, mon pays. C’est une devise magnifique, une véritable inspiration.

La liberté et l’égalité, en particulier, sont deux idées fondatrices des démocraties contemporaines. On les retrouve dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, et dans le préambule de la Constitution de la Cinquième République Française.

Ce sont des valeurs que l’on estime souvent universelles. Et de ce fait, on a tendance à les trouver normales, et même banales dans notre pays dans lequel presque plus personne n’a connu la guerre, et donc dans lequel presque personne ne sait ce que c’est que de ne pas y avoir droit. En conséquence, nos libertés peuvent paraître définitivement acquises, et l’on peut penser qu’il n’est plus nécessaire de s’en inquiéter. Or ce n’est pas le cas.

Si l’on s’est habitué à bénéficier sans effort de nos libertés, c’est d’autant plus vrai de l’une d’entre elles : la liberté d’expression. C’est d’elle que je désire vous parler aujourd’hui.

J’ai déjà abordé ce sujet dans les articles précédents, et j’ai même écrit celui du film Larry Flynt en guise d’introduction à celui-ci.

La liberté d’expression, l’aspect légal.

D’abord, et comme j’aime le faire, revenons à sa définition, et en particulier à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme.

 » La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

La première partie est pleine de bonnes intentions, mais il est évident que la fin ouvre la voie à des entorses. Et le fait est que parmi les pays démocratiques, réputés libres, la France est l’un de ceux qui prévoient le plus d’exceptions à la liberté d’expression.

En particulier, la loi condamne :

– Les insultes

– La diffamation et la calomnie

– L’incitation à commettre des délits ou des crimes, si elle est suivie d’actes

– L’outrage aux bonnes mœurs et à la décence publique.

 

Quand je considère cette liste, j’ai l’impression qu’elle réduit singulièrement ma liberté d’expression. Je veux dire par là que, de mon point de vue, ces exceptions ne devraient pas relever de la loi mais de l’éducation de chacun, de notre capacité à être raisonnable, à vivre en bonne intelligence avec les autres.

Et surtout, je me rends compte que ma liberté d’expression est soumise à la façon dont les juges pourraient interpréter mes paroles ou mes écrits, si j’étais attaqué. Il faudrait donc que je me défende, que je me soumette à un point de vue qui risque d’être subjectif, et que je prenne le risque d’être mal jugé. Or la liberté d’expression, justement, ce n’est pas la garantie qu’on ne pourra pas être attaqué pour avoir exprimé ses opinions ?

L’un des problèmes qui se pose quand on parle de la liberté d’expression, c’est donc de savoir s’il est utile d’y imposer des restrictions. Pour illustrer cette réflexion, je vous propose un exemple, volontairement caricatural.

 

Admettons un instant que je sois tout à fait libre de dire ce que je veux, et que je puisse écrire, dans tous les journaux du pays, que mon voisin est un con, sans me justifier, juste parce que j’ai le droit de le faire.

Il serait normal que ça le fâche, et on pourrait penser que c’est susceptible de lui nuire. Par exemple, la prochaine fois qu’il cherchera un travail, on pourrait ne pas l’embaucher sous prétexte qu’il est préférable d’éviter d’avoir affaire à quelqu’un qui correspond peut-être à ce que j’ai dit de lui. Ou alors, on pourrait penser que c’est moi le con, qui ai insulté un autre citoyen sans raison.

En fin de compte, cela pourrait bien lui nuire, ou du moins provoquer pour lui un surcroît de travail pour prouver qu’il n’est pas ce que j’ai dit de lui. C’est ennuyeux, mais quelque part, c’est le prix de notre liberté ! Et devoir se battre pour elle de temps en temps, permet de se rendre compte que rien n’est jamais définitivement acquis dans ce domaine. En acceptant les conséquences de cette liberté sans s’en plaindre, on montre aussi aux autres, et notamment à ceux qui nous dirigent, que l’on tient à ce droit. Cela leur rappelle qu’on ne veut pas qu’on en réduise la portée. C’est un signe fort des qualités morales d’une nation tout entière !

On pourrait m’opposer que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Mais je n’ai pas empiété sur la liberté de mon voisin. Dans cet exemple, il peut en dire autant de moi, et franchement, si je m’étais conduit comme ça, il aurait raison. Mais je pense tout de même que la liberté ne devrait pas être réduite pour des raisons de convenance des uns et des autres. Elle ne devrait pas être limitée parce qu’elle peut déplaire, ou qu’elle peut avoir un coût, aussi bien matériel qu’immatériel. Au contraire, il faut être capable de le payer.

Dans cet exemple, ce n’est pas ma liberté d’expression qui met mon voisin dans l’embarras, c’est la réaction des gens qui pourrait aller stupidement dans mon sens, alors que je n’ai apporté aucune justification à ce que j’ai dit.

De la même façon, dans notre société mondialisée, nous avons plus intérêt à accepter que l’on puisse nous insulter, et à faire avec, plutôt que de légiférer pour empêcher cela. Car nos lois n’ont d’impact que sur notre pays, et pas sur tous les autres, dont les ressortissants, de cultures différentes, ont encore plus de raisons de ne pas être d’accord avec nous.

En témoignent les tensions liées aux religions ou à la politique, pour ne citer qu’elles.

Je pense donc que cette liberté peut être un bon vecteur de sagesse. Elle est susceptible de développer l’esprit critique, car il faut aussi être capable d’accepter le fait que ceux qui s’expriment ne disent pas que des choses intéressantes, ou vraies, et qu’ils ont parfois des avis, des opinions qui n’ont pas beaucoup de valeur. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui, avec les médias modernes. Grâce à eux, n’importe qui peut dire n’importe quoi ! Et si ça peut déboucher sur des contenus qui n’ont pas beaucoup d’intérêt, ou qui peuvent induire en erreur, peu importe !

Car la liberté d’expression ne devrait pas être limitée à ceux qui ont le même point de vue que nous, à ceux qui ont des idées mieux construites, qui ont plus d’expérience, de diplômes ou de pouvoir. La liberté d’expression, c’est ce qui permet à chacun de décider si ce qui est dit est intéressant ou pas, vrai ou faux. C’est l’idée selon laquelle personne ne doit décider pour nous ce que nous avons le droit d’entendre, d’apprendre ou de lire.

L’exemple que j’ai imaginé, je l’ai construit sur la restriction de la liberté d’expression que la loi impose en ce qui concerne les insultes. Mais j’aurais pu en faire d’autres sur la diffamation, ou sur l’incitation à commettre des crimes. Cela dit, il y a une restriction qui me paraît encore moins justifiée que les autres, c’est celle relative à l’outrage aux bonnes mœurs et à la décence publique.

La liberté d’expression à l’épreuve des bonnes mœurs.

J’en parle notamment parce que je suis l’auteur du roman Ma soumise, mon amour. Celui-ci narre la rencontre passionnée de Marc, un jeune homme dominant et de Charline, qui s’abandonne à lui. Cette belle histoire ne m’a pas valu de censure institutionnelle, mais le fait qu’elle prenne place dans un cadre BDSM n’a pas plu à tous les distributeurs. À ce jour, seul Amazon, un éditeur américain, m’a permis de la publier. J’aurais bien voulu être édité par une entreprise française, ou à défaut européenne, mais ça n’a pas été possible. Celles que j’ai contactées m’ont expliqué que la couverture de mon roman pouvait choquer. Elle n’a pourtant rien de vulgaire, je vous laisse en juger par vous-même sur mon site, stevehaldeman.com.

Si je parle de cet exemple personnel, c’est bien parce qu’il est symptomatique du problème que pose la prise en compte de ce que l’on appelle les bonnes mœurs. Car en ce qui les concerne, nous sommes tous responsables de l’orientation de la loi et de ses conséquences au quotidien. Ce n’est pas un gouvernement qui décide de ce que sont les bonnes mœurs, ce sont nous, les citoyens. Cela dépend de ce que nous sommes prêts à accepter, collégialement, comme limites à nos valeurs morales.

Comme je l’ai dit, mis à part Amazon, tous les autres intervenants de l’auto-édition ont estimé que la couverture de mon roman pourrait choquer leur clientèle. Et il y a fort à parier qu’ils ne l’ont pas fait pour satisfaire leur clientèle justement, car ils vendent tous des tas de livres érotiques aux couvertures bien plus explicites que la mienne. La différence, c’est que j’ai fait le choix de mettre une illustration de femme nue, totalement nue. Elle a beau être de dos, ça a posé un problème. Pourtant, si vous choisissez comme couverture L’origine du monde, de Gustave Courbet, où l’on voit un sexe féminin en gros plan, avec les poils et les grandes lèvres bien visibles, je suis certain que ça ne posera aucun problème. Dans l’esprit des gens, ce ne sera pas pareil, ce sera de l’art. Mais où est la différence avec l’illustration de mon roman ?

Il faut bien comprendre que le dessin que j’ai choisi ne tombe pas sous le coup de la censure légale. J’ai bien le droit de le faire, et pourtant ce qui m’est arrivé est une conséquence de la loi. Car, en France, elle limite la liberté d’expression en ce qui concerne les bonnes mœurs essentiellement pour protéger les mineurs. Pour se garder une marge de sécurité et être sûre de ne pas contrevenir à la loi, une grosse librairie en ligne, comme celles auxquelles je me suis adressé, a tout intérêt à refuser mon livre pour que des enfants ne puissent pas tomber dessus. Et donc pour qu’on ne puisse pas les accuser de violer la morale, qui est une notion difficile à cerner.

Cela dit, les bonnes mœurs évoluent avec le temps.

 

Quand j’étais enfant, on ne voyait jamais aucune nudité dans l’espace public. Et puis avec les années, ont fleuri sur les arrêts d’autobus des réclames pour les sous-vêtements féminins qui ne choquent plus grand monde aujourd’hui. Mieux, il n’a pas fallu longtemps pour que l’érotisme soit de la partie. En témoigne la série de leçons de la marque Aubade, dont j’ai trouvé un exemple à voir sur mon site qui me paraît au moins aussi subversif que la nudité de Charline sur la couverture de mon roman. Donc oui, mon histoire est destinée aux plus de 18 ans, mais la couverture, elle, n’a vraiment rien de choquant au regard de ce que l’on voit partout dans la rue.

Je pense donc que, sous couvert de protéger notre jeunesse d’images qu’elle n’est pas en mesure de comprendre, on censure parfois à tort.

Cela dit, je ne veux pas trop digresser, j’aborderai ce sujet dans un autre article que j’ai l’intention d’écrire sur la nudité dans l’espace publique, ainsi qu’un autre sur l’éducation sexuelle.

Depuis le début de cet article, je donne peut-être l’impression d’être très critique concernant le sort réservé à la liberté d’expression dans mon pays, mais en réalité ce n’est pas le cas. Simplement, c’est un sujet qui me tient à cœur. Cela ne m’empêche pas de me rendre compte de la chance que j’ai. Alors justement, allons-y pour un peu d’optimisme, ça ne fait pas de mal !

Tout d’abord, je vis en France. Coup de bol tout de même, j’aurais pu tomber ailleurs, et je pense que je n’ai pas besoin de donner d’exemple d’autres pays où il est plus difficile de s’exprimer.

Par ailleurs, je suis né en 1973, et nous sommes en 2023. Quand j’étais enfant, il y avait 3 chaînes de télévision, qui ne fonctionnaient même pas en continu. Jusqu’en 1987, il s’agissait de chaînes publiques, avec des contenus forcément approuvés. Pourtant, la liberté d’expression était déjà une réalité, en témoigne le premier article que j’ai rédigé à propos d’Histoire d’O, paru en 1954. Ce n’était pas idéal, mais c’était tout de même une réalité.

Depuis, le paysage médiatique a explosé et l’apparition d’internet a permis à n’importe qui de trouver une audience qu’il était beaucoup plus difficile d’obtenir avant. Je dirais que, globalement, on a perdu en qualité, mais c’est parce que l’on voit beaucoup plus de monde s’exprimer, et qu’il y a moins de filtres. N’importe qui ne passait pas sur la première chaîne en 1980, c’était réservé à une certaine élite. L’ouverture est une excellente chose ! Car si notre société moderne a vu beaucoup de médiocrité mise en avant, elle est aussi le vivier où de futurs talents émergent. On accouche rarement de chef-d’œuvre sans avoir d’abord beaucoup essayé. De la même façon, on a souvent des avis construits sur du sable avant d’évoluer, et d’acquérir de l’expérience. Et ça, ce n’est possible que si l’on a accès à l’information, donc uniquement si l’on peut s’exprimer librement.

 

Article Wikipedia de La déclaration des droits de l’homme et du citoyen : https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_des_droits_de_l%27homme_et_du_citoyen_de_1789

Article Wikipedia de La déclaration universelle des droits de l’homme : https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_universelle_des_droits_de_l%27homme

Article Wikipedia du Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 :https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9ambule_de_la_Constitution_du_27_octobre_1946

 

Mon livre : Ma soumise, mon amour, T1

version numérique : https://www.amazon.fr/dp/B0BDMWCYR6/

version papier : https://www.amazon.fr/dp/2494242002/

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