Steve Haldeman

Carnets d’une soumise de province, de Caroline Lamarche

Photo de Kristian Ivanov

Carnets d'une soumise de province, de Caroline Lamarche

Vous pouvez lire l’article, ou le découvrir en version audio avec le lecteur ci-dessous. Il est également disponible en vidéo sur ma chaîne YouTube (lien dans le menu), et prochainement sur toutes les plates-formes de Podcast.

Caroline Lamarche est une écrivaine belge, née en 1955.
Elle a commencé à écrire sérieusement à 35 ans, après avoir beaucoup lu. Elle est l’auteure de romans, de nouvelles, de poèmes et d’ouvrages pour les enfants. Elle a également été chroniqueuse, et auteure de textes destinés à être mis en scène.

Je connais peu son œuvre, n’ayant lu que le livre dont je vais vous parler aujourd’hui. Je sais simplement qu’elle est une auteure éclectique, ce que j’ai toujours tendance à apprécier chez les écrivains. J’avais donc un a priori positif, avant même de la contacter.
L’a priori s’est transformé en sympathie mesurée lorsque j’ai reçu sa réponse. Et lors de nos échanges, cette sympathie est devenue bien réelle, car j’ai eu le plaisir de découvrir une personne aux qualités rares.
Mais j’anticipe un peu…

Caroline Lamarche a écrit trois textes érotiques, dont deux d’entre eux au moins ont un contexte BDSM. C’est le cas de ses Carnets.
Son talent lui a valu plusieurs prix littéraires, dont le prix Goncourt de la nouvelle en 2019, pour Nous sommes à la lisière, édité par la maison Gallimard.
La page Wikipédia qui lui est consacrée est assez fournie, et je vous la conseille si vous voulez en savoir plus.

Son roman

Publié en 2004, Carnets d’une soumise de province est l’histoire des tribulations d’une femme et de son maître, qui déambulent de ville en ville à chacune de leurs rencontres, le couple ne partageant pas de vie commune en dehors de ces séjours réguliers. Le roman relate le point de vue de la Renarde, surnom donné à cette femme par son amant dominant.

Ce livre, je l’ai lu une première fois en 2007, au moment où je rédigeais la première version de Ma soumise, mon amour. Il faisait partie d’une liste d’œuvres écrites à la même époque, que l’on m’avait conseillé, et au sujet desquelles j’ai écrit quelques critiques :


– Le lien (Vanessa Duriès) sorti en 1993
– Dolorosa soror (Florence Dugas) 1996 : https://stevehaldeman.com/dolorosa-soror/
– Soumise ( Salomé ) 2002 : https://stevehaldeman.com/soumise/
– Entre ses mains (Marthe Blau) 2003 : https://stevehaldeman.com/entre-ses-mains/
– Frappe-moi (Mélanie Müller) 2005
– Le bel échange ( Claudine Galéa) 2005 : https://stevehaldeman.com/le-bel-echange/

 

Ces textes ont des points communs qui ont eu une influence sur mon propre parcours d’écrivain :
– Ils sont tous écrits par des femmes
– Ils présentent des personnages masculins souvent torturés, malsains ou brutaux.
– Il s’agit toujours de drames, d’histoires aux fins mélancoliques, tristes ou tragiques. Quand ce n’est pas le cas dans ces livres, c’est souvent mis en lumière dans leurs suites, comme dans L’étudiante, la suite du Lien, de Vanessa Duriès.
Or les Carnets d’une soumise de province partage les mêmes similitudes.

À sa première lecture, ce livre m’a laissé une impression mitigée.
Pour ne pas écrire cette critique en m’appuyant sur un souvenir ancien, j’ai repris le livre et l’ai relu attentivement. Voici ce que j’en ai retenu.

D’abord j’ai apprécié la plume de l’auteure, même si je lui ai trouvé un défaut mineur. Sa prose est de qualité, mais j’ai trouvé certains passages trop fouillés, enrichis de comparaisons et de références culturelles de qualité, mais trop nombreuses à mon goût. De mon point de vue, un texte qui mobilise une partie des ressources du lecteur finit par occulter le fond pour privilégier la forme. Cela dit, c’est une question de goût.

En ce qui concerne l’histoire, La Renarde est une soumise qui a du recul. C’est une femme cultivée, qui a un regard critique sur les désirs de son amant, et sur les situations dans lesquelles ils se retrouvent. Elle relève souvent les contradictions de son maître, et il lui arrive d’avoir envie de mettre un terme à cette relation qui l’épuise.
D’ailleurs, son amant est étonné de la persévérance de la Renarde. Il pensait qu’elle ne tiendrait pas plus de quatre mois.
Le texte, qui ne donne pas de nom à cet homme, dresse de lui un portrait particulier. Il est décrit comme maniaco-dépressif, et le contexte de certains chapitres laisse penser que ce n’est pas qu’une façon de parler.

L’absence de contexte

L’auteure ne dit rien des raisons qui ont amené la Renarde à entrer dans cette relation, et je me suis aperçu, en relisant attentivement ce roman, que cette absence de justification avait gêné ma lecture. C’est dommage, car le texte est d’excellente qualité, en dépit des critiques mineures que j’ai formulées.

Bien entendu, j’ai essayé d’imaginer les raisons qui avaient pu amener l’auteure à écrire son roman de cette façon, à commencer par supposer qu’il pouvait être autobiographique, comme le sont certains romans de ce type. Mais me contenter de suppositions ne me paraissait pas satisfaisant, car j’avais vraiment l’impression que ce roman était, en quelque sorte, imparfait.
En savoir plus est la raison principale qui a motivé ma prise de contact avec Caroline Lamarche, via le formulaire de contact de son site internet.
J’ai reçu une réponse quatre heures plus tard, à minuit passé, ce qui m’a fait penser que mon interlocutrice souffrait peut-être des insomnies dont parle sa page Wikipédia.
L’e-mail était rédigé à la troisième personne, comme s’il provenait de l’administrateur du site, ce qui m’a interloqué et amusé. En retour, je lui ai détaillé les raisons pour lesquelles je pensais que l’auteure m’avait répondu elle-même, en dépit des apparences.
J’avais vu juste, et dans un second message, elle m’a dit qu’elle s’était amusée à me répondre de cette manière. C’était effectivement fin de sa part, et assez drôle.

Au sujet du contexte, elle m’a répondu la chose suivante :

Caroline Lamarche est touchée et honorée de votre intérêt mais elle ne répond jamais, pour aucun de ses livres, aux questions relatives au contexte dans lequel il a été écrit. Elle signale néanmoins que, dans le cas des « Carnets… » la réponse à cette question du contexte est déjà présente au début du récit : le Maître l’enjoint d’écrire. C’est donc, en quelque sorte, un travail de « commande ». Mais la commande n’est en rien exécutée docilement, au contraire. Si la narratrice – dite la Renarde – y revisite les invariants de la domination-soumission, c’est avec ironie : elle n’est jamais dupe tout en jouant le jeu. Elle est donc une soumise atypique qui, sans doute, ne le restera pas longtemps (soumise). Elle va au bout de ces « figures imposées » de séance en séance, puis disparaît.

Après avoir lu cela, je me suis rappelé que cette absence d’explication est d’ailleurs commune à la plupart des écrits érotiques de cette époque. Et lors de nos échanges ultérieurs, Caroline Lamarche m’a fait remarquer que c’est le cas de la majorité des écrits érotiques, et pas seulement des œuvres contemporaines. En particulier, elle m’a précisé ceci :

C’est peut-être un obstacle à l’interprétation ou une déception pour certains lecteurs, j’en suis bien consciente, mais je suis nouvelliste essentiellement, j’ai toujours travaillé par allusions et fragments : c’est ma limite et peut-être, j’espère, la beauté de la chose.
En agissant de la sorte, je n’ai d’ailleurs fait que suivre la manière de nombre de récits érotiques qui commencent au cœur de l’acte, du lien, de l’enfermement à deux (c’est même peut-être la définition de l’érotisme et des rituels SM particulièrement : un monde clos). Ainsi dans « Histoire d’O » de Pauline Réage, on ne sait rien non plus puisque cela commence par « Son amante mène un jour O se promener dans un quartier où ils ne vont jamais. » (On n’apprendra que bien plus tard, après la mort de l’autrice, que Pauline Réage était le pseudo de Dominique Aury qui, par ce livre, répondait à une « commande » de Jean Paulhan). Quant à Vanessa Duriès, elle se contente d’une intro où elle dit que son père la battait, ce qui peut constituer une clé, puis elle commence directement par « Je ne suis pas sentimentale pourtant j’aime mon Maître et je ne m’en cache pas ». Ne parlons pas de Sade, de Mandiargues, de Hadellet ni de Bataille dans « L’histoire de l’œil » : ce sont des jeux cruels sans le moindre contexte là non plus. Que dire du superbe « Le boucher » d’Alina Reyes : on ne saura pas grand-chose de plus que la fascination de la narratrice pour ce boucher et on n’en retient que notre propre fascination de lecteurs. (Ceci dit, en écrivant ce genre de choses on s’attire inévitablement des réactions – d’hommes – en miroir, il est moins compromettant d’écrire des livres pour enfants).

Je connais Histoire d’O, Le lien, et Sade, ayant d’ailleurs écrit des articles au sujet des trois, mais pas les autres références. Cela dit, ces trois-là ont suffi à me confirmer que les récits érotiques omettent, la plupart du temps, de préciser pourquoi se déroulent les orgies qui y sont décrites.
Cette absence de contexte fait que je n’aime pas ces textes autant que je l’aurais pu. Je les apprécie, mais ce manque d’explication fait souvent passer leurs personnages pour des êtres irréfléchis, uniquement préoccupés par leurs désirs de céder à leurs instincts et à leurs pulsions sexuelles. Or il me semble que cela contribue à marginaliser la littérature érotique, et à faire passer ceux qui s’y adonnent pour des pervers. Pourtant, s’il y a bien un domaine de la littérature qui exige une grande honnêteté intellectuelle, c’est bien l’érotisme. En particulier, écrire des textes BDSM suppose de résister à la censure morale de ceux qui ont peur de leur propre sexualité et de leurs fantasmes. Écrire dans ce domaine nécessite une vraie introspection, et une appétence féroce pour la liberté d’expression. Qui plus est, écrire un bon roman suppose de mettre beaucoup de soi dedans, et d’y dévoiler non pas sa vie, mais sa sensibilité. Or se dévoiler dans le domaine de l’érotisme, c’est se mettre à nu, en quelque sorte, ce qui n’est pas évident de prime abord.

La force des auteures qui assument leurs écrits

Madame Lamarche est une des rares auteures généralistes qui n’a pas eu peur de publier de l’érotisme à visage découvert, sans se cacher derrière un pseudonyme, comme elle aurait pu le faire. En cela, elle m’a fait penser à Claudine Galéa, auteure du Bel échange. Elles ont d’ailleurs en commun d’avoir aussi écrit pour les enfants.
Il me semble que, en partie du fait du patriarcat, rares sont celles qui se sentent la liberté d’en faire autant. Et c’est la faute de notre société, qui a du mal à concilier l’image de la mère aimante et celle de l’amante aimante. Pourtant, l’une n’existe pas sans l’autre.
Caroline Lamarche a d’ailleurs payé ce choix par la perte d’une partie de son lectorat, qui a été perturbé par son audace.
Comme je le lui ai dit avec humour, c’est une mésaventure qui ne m’arrivera pas. Car j’ai commencé par publier du BDSM avant de publier le reste. En conséquence, il se pourrait bien que je n’arrive jamais à gagner les lecteurs qu’elle a perdus.
Aujourd’hui, je suis obligé de rester anonyme, pour préserver les gens que j’aime, mais j’espère bien publier à visage découvert dans un futur proche. Et le plus tôt sera le mieux, car il me semble que publier de l’érotisme en camouflant notre identité, cela pousse une partie du grand public à croire que ce que nous écrivons est malsain. Après tout, quand on se cache, c’est qu’on fait quelque chose de mal…

Avant de terminer, je dois dire que j’ai été ravi de faire la connaissance de Caroline Lamarche. Au travers de nos échanges, j’ai découvert une consœur, une très belle personne, accessible, avec des qualités extraordinaires pour une femme d’un tel talent.

 

Liens

 

– Page Wikipedia de l’auteur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Caroline_Lamarche
– Site officiel de l’auteur : https://carolinelamarche.com/

 

Notre site : https://stevehaldeman.com/

Notre histoire :La série « Maître et soumise, leur histoire » est un double roman BDSM, raconté pour l’un du point de vue du maître, et pour l’autre du point de vue de la soumise. Elle se compose de 4 tomes dont 2 sont déjà parus :

Ma soumise, mon amour, Tome 1 (septembre 2022)
– version e-book : https://www.amazon.fr/dp/B0BDMWCYR6/
– version papier : https://www.amazon.fr/dp/2494242002/

Mon Maître, mon amour, Tome 1 (juin 2023)
– version e-book : https://www.amazon.fr/dp/B0C9H2GYK9/
– version papier : https://www.amazon.fr/dp/2494243009/

Ma soumise, mon amour, T2 sortira en décembre 2023
Mon Maître, mon amour, T2 sortira en juin 2024.

Ils sont également disponibles en version papier et e-book, dans toutes les bonnes librairies (en ligne ou en magasin) avec des couvertures différentes, les originales ayant choqué la morale.

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