Le BDSM vs La pudibonderie
Vous pouvez lire l’article, ou le découvrir en version audio avec le lecteur ci-dessous. Il est également disponible en vidéo sur ma chaîne YouTube (lien dans le menu), et prochainement sur toutes les plates-formes de Podcast.
Propos liminaire : Cet article dévoile des informations concernant l’histoire d’un certain nombre de romans. En résumé, ça spoil !
Depuis que j’ai commencé la promotion de nos écrits, je suis en contact avec beaucoup de monde, aussi bien du monde du livre que de la communauté BDSM, et j’ai souvent entendu des remarques qui peuvent se résumer de la façon suivante : Nous vivons dans un monde très pudibond, bien plus qu’il y a quelques années.
Le premier qui m’a fait part de ce point de vue, c’est Franck Spengler, ex-directeur et fondateur des Editions Blanche.
Il y a 12 ans, il m’avait déjà dit que les romans BDSM ne se vendaient plus depuis la fin des années 2010. Au cours d’une discussion à Paris, à la mi-avril, il a ajouté que c’était un effet de mode, et qu’il y avait aussi eu une période similaire dans les années 1970/80.
Je parle avec beaucoup de monde, notamment sur les réseaux sociaux, et là aussi je crois des personnes qui pensent que la pudibonderie gagne du terrain.
Il y a des arguments qui vont dans ce sens, mais j’avoue que je suis partagé quand j’entends ça, pour plusieurs raisons dont j’ai envie de vous parler aujourd’hui.
L’effet de mode dans la littérature
Tout d’abord, la pudibonderie qui est souvent pointée du doigt l’est en particulier dans la littérature. Or en faisant le point, j’ai pu faire quelques constatations.
Quand j’ai commencé à écrire Ma soumise, mon amour en 2007, j’ai lu ou relu pas mal d’œuvres du même genre. Et la majorité d’entre elles étaient récentes. Sur les dix romans de ma liste figuraient ceux ci-dessous :
- Le lien (Vanessa Duriès) sorti en 1993
- Dolorosa soror (Florence Dugas) 1996
- Soumise ( Salomé ) 2002
- Entre ses mains (Marthe Blau) 2003
- Carnet d’une soumise de province (Caroline – Lamarche) 2004
- Frappe-moi (Mélanie Müller) 2005
- Le bel échange ( Claudine Galéa) 2005
On voit bien que les sorties de ces romans se sont concentrées en particulier sur le la première moitié des années 2000. Et il devait y en avoir d’autres, car il ne s’agit ici que de ceux que l’on m’a conseillés et que j’ai lus. Et ce n’est pas étonnant, car un éditeur qui voit qu’un livre a du succès, va avoir tendance à vouloir renouveler l’expérience, et donc à proposer d’autres œuvres du même type.
Donc on peut imaginer que ce type de romans ait fini par lasser aussi bien les lecteurs que les médias qui en faisaient la promotion, dont le travail consiste aussi à proposer de nouvelles choses à ceux qui les lisent.
En plus, ces romans BDSM avaient des points communs particuliers qui ont pu contribuer à blaser les clients.
Ils étaient très tournés vers des pratiques sexuelles souvent extrêmes, racontaient régulièrement des relations malsaines, et affichaient des personnages masculins fréquemment déplaisants et destructeurs, qui ne se remettaient jamais en question. Ce qui revient à dire, en résumé, que ça excitait, mais que ça ne faisait pas rêver.
La chute des ventes de ce type de romans était-elle due à un sursaut de pudibonderie de la population dans son ensemble, ou à une lassitude des lecteurs pour ces œuvres qui finissaient par toutes se ressembler ?
Le succès phénoménal de la trilogie Cinquante nuances de Grey apporte quelques réponses. Cette histoire est certes très pudique au regard des romans BDSM qui étaient sortis avant, ce qui pourrait faire croire à la thèse de la pudibonderie. Mais cette histoire est aussi très différente de par son approche beaucoup moins sombre.
Il n’y a pas de prostitution dans ce roman, comme dans Le lien de Vanessa Duriès. Il n’y a pas non plus de sexe non protégé, de désespoir et de suicide, comme dans Dolorosa soror, pas de zoophilie comme dans Soumise, pas de manipulateur détestable comme dans Entre ses mains, pas d’amant qui finit étranglé comme dans Frappe-moi, et pas de femme qui en bat une autre jusqu’au sang comme dans Le bel échange. Par ailleurs, Cinquante nuances de Grey se termine grosso modo comme un conte de Walt Disney, aux épilogues toujours identiques : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».
Alors on peut dire ce qu’on veut, mais le glauque et le désespoir, on s’en lasse, même quand c’est bien écrit.
Il y a un autre élément qui vient contredire la thèse de la pudibonderie dominante, c’est l’ampleur que prennent les pratiques sexuelles de plus en plus trash sur les sites porno. Or, ils sont le reflet de ce qui plaît. Ces sites ont avant tout un objectif de rentabilité, et ils ne mettraient pas autant de contenus extrêmes s’ils n’étaient pas regardés.
Des avis sous influence
Comme je l’ai dit, l’argument de la pudibonderie est souvent avancé parmi les personnes avec qui je discute. Or ceux-là font souvent partie de la communauté BDSM, dont l’ouverture d’esprit envers des pratiques et comportements sexuels variés est globalement supérieure à la moyenne.
Il est facile d’imaginer que pour quelqu’un d’ouvert, les autres passeront facilement pour des coincés.
Et comme la majorité des gens qui pratiquent le BDSM se cachent parce que c’est mal vu, et qu’une partie de la population assimile ça à de la perversion, ce n’est pas étonnant qu’ils aient du ressentiment envers ceux qui ne les acceptent pas. D’où une certaine tendance à surréagir, en qualifiant ceux qui ne les comprennent pas de pudibonds.
Pour autant, peut-on en déduire qu’il y a plus de pudibonds qu’auparavant ? Je ne pense pas.
De plus, on a parfois l’impression que les pudibonds veulent imposer leur pudibonderie. Mais je pense que cela tient à la façon dont les gens se jugent entre eux, surtout quand ils ont affaire à un comportement qu’ils ne comprennent pas.
Quand on a affaire à une attitude dont on n’a pas l’habitude, on a naturellement tendance à faire des rapprochements avec des agissements qui nous paraissent proches et que nous connaissons. Et quand rien de ce que l’on connaît ne s’en approche, on a tôt fait de considérer que l’on a affaire à une perversion. Surtout quand il s’agit d’actes qui ont l’air violents en apparence. Alors évidemment, quand on a une expérience limitée, parce qu’on est jeune par exemple, les références que l’on connaît sont peu nombreuses, et l’on est susceptible de juger hâtivement.
Or, notamment avec internet, les pratiques sexuelles marginales sont de plus en plus visibles. Elles sont donc de plus en plus susceptibles de faire réagir. Mais ça ne veut pas dire pour autant que les gens sont moins ouverts d’esprit qu’avant. Ils sont peut-être, tout simplement, plus exposés qu’avant à des comportements sexuels qui étaient marginalisés auparavant.
Ce que je vois au quotidien.
Depuis que je m’intéresse au BDSM, et plus encore depuis que je m’occupe de la promotion des deux romans que nous avons écrits, je constate tous les jours qu’une part importante de la communauté BDSM ne se cache pas. Même sur des réseaux grand public comme Facebook, on trouve sans difficulté des tas de groupes dédiés à la sexualité, aux rencontres libertines, à l’échangisme, aux travestis, et à tout type de pratiques BDSM, même celles qui sont les plus extrêmes. Les pratiquants sont là, avec des profils qui sont parfois publics et même à visage découvert, autant dire qu’ils ont pignon sur rue. Or, compte tenu de la propension des réseaux sociaux généralistes à censurer la nudité, pour rester grand public, on est en droit de se demander si les sexualités dites marginales ne sont finalement pas rentrées dans les mœurs.
Ces pratiques existaient bien avant qu’internet ne les mette en lumière, mais elles n’étaient pas aussi visibles, loin de là. Cette visibilité permet, il me semble, leur démocratisation. Du moins elle permet à beaucoup de gens de savoir que ça existe, et de savoir qu’il ne s’agit pas de quelque chose de malsain.
Bien entendu, rien n’est jamais gagné d’avance. À partir du moment où l’on fait partie d’une communauté minoritaire, on est toujours susceptible d’être victime de ceux qui ne nous comprennent pas, et qui nous jugent facilement, sans prendre le temps, comme je l’ai expliqué dans le paragraphe précédent.
Cependant, je pense que globalement, cette médiatisation des pratiques BDSM est de nature à faire reculer les idées toutes faites, et qu’elle incite à la libéralisation des mœurs. C’est une tendance qui amène la société à mieux accepter ce qui se voit, plutôt qu’à condamner ce qui paraissait plus marginal avant, ce qui était caché et qui, de ce fait, donnait l’impression qu’il s’agissait de pratiques coupables.
Enfin et pour finir, on peut imaginer que les personnes les plus pudibondes sont celles qui s’expriment le plus, parce qu’elles sont choquées. Cela ne signifie pas pour autant que la société dans son ensemble l’est plus qu’auparavant.
Liens :
- Listes des articles que j’ai déjà écrit à propos des livres cités : https://stevehaldeman.com/category/idees-de-lecture/
Notre histoire :
La série Maître et soumise, leur histoire est un double roman BDSM, raconté pour l’un du point de vue du maître, et pour l’autre du point de vue de la soumise. Elle se compose de 4 tomes dont 2 sont déjà parus :
Ma soumise, mon amour, Tome 1 (septembre 2022)
– version e-book : https://www.amazon.fr/dp/B0BDMWCYR6/
– version papier : https://www.amazon.fr/dp/2494242002/
Mon Maître, mon amour, Tome 1 (juin 2023)
– version e-book : https://www.amazon.fr/dp/B0C9H2GYK9/
– version papier : https://www.amazon.fr/dp/2494243009/
Ma soumise, mon amour, Tome 2 sortira en décembre 2023
Mon Maître, mon amour, Tome 2 sortira en juin 2024.
Vous avez l’air d’avoir un avis tranché au sujet de la pornographie, et de ceux qui en consomment. Du coup, vous m’incitez à écrire un article à ce propos. Merci pour l’inspiration ! 🙂
Par ailleurs, j’ai vu que vous êtes autrice, et cela m’a incité à vous envoyer un mail.
Cependant, il me semble qu’il ne faut pas confondre le réel avec sa représentation, ni la littérature avec la vie (même si le récit de Vanessa Duriès est, je vous l’acorde, fidèle à ce qu’elle a vécu ; je ne suis pas certaine que l’on puisse en dire autant de l’autrice des Cinquante nuances…) Il y a en effet chaque jour dans le monde plusieurs centaines de millions de connexions aux sites pornos. Ces gens sont-ils moins « pudibonds » que nos parents, et surtout grands parents ? Allons donc ! Bien au contraire, ils sont immensément frustrés, et ce pauvre dérivatif n’ est que le symptôme de leur aliénation. Inversement, il y a des sociétés où il est obligatoire de publiquement afficher sa pruderie (1, 6 milliards de personnes), mais cela ne préjuge en rien de ce qui se passe dans le secret des familles ou des maisonnées…