Steve Haldeman

Le marquis de Sade

Le marquis de Sade

Vous pouvez lire l’article, ou le découvrir en version audio avec le lecteur ci-dessous. Il est également disponible en vidéo sur ma chaîne YouTube (lien dans le menu), et prochainement sur toutes les plates-formes de Podcast.

Donatien Alphonse François de Sade, communément appelé le Marquis de Sade, est un homme de lettres, romancier et philosophe qui a accordé, dans son œuvre, une place très importante à l’érotisme et à la pornographie.
Ce qui se sait moins, c’est que ces deux thèmes ont souvent été associés à ceux de la violence et de la cruauté, à l’image de la torture, de l’inceste, du viol, de la pédophilie et du meurtre.
Sachant cela, je me suis toujours demandé pourquoi, dès la fin du XIXème siècle, on l’a surnommé le Divin Marquis.

Sa vie

Sade naît en 1740 à Paris, et meurt non loin de là, dans un asile d’aliénés, en 1814.
Sur les 74 années de sa vie, il en passera 27 en prison. Et il aurait pu en passer beaucoup plus si sa famille, provenant d’une des plus anciennes lignées aristocratiques de Provence, n’avait fait régulièrement des pieds et des mains pour lui éviter la justice ordinaire, en obtenant souvent les faveurs du roi. Cela ne l’empêchera pas d’être enfermé sous tous les régimes politiques de cette période troublée de l’Histoire de France.

 

Son père est un libertin notoire, dont les maîtresses ne se comptent plus alors qu’il a à peine 25 ans. Il aurait également usé de ses charmes auprès des hommes. On peut donc considérer que le jeune Sade a de qui tenir.

 

Il passe les trois premières années de sa vie éloigné de ses parents, et a été élevé avec la conviction d’appartenir à une espèce supérieure. De ce fait, Wikipédia nous informe que sa nature despotique et violente sera révélée très tôt. Ce qui n’a rien d’étonnant, compte tenu des conditions dans lesquelles il vit son enfance, et qui peuvent expliquer qu’il ait du mal à accepter que tout ne lui soit pas dû, tout simplement.

De 4 à 10 ans, son éducation est confiée à son oncle, l’abbé Jacques-François de Sade, qui l’héberge dans le château dans lequel il s’est retiré, après avoir mené une vie mondaine. Libertin lui aussi, cet homme est décrit comme sybarite, aimant s’entourer de livres et de femmes. Il y a fort à parier qu’il a eu un impact très important sur la façon dont le jeune marquis de Sade s’est construit.

À 14 ans, il intègre l’école des chevau-légers de la garde du roi, et mène une carrière militaire dont il n’aura pas à rougir, et qui se termine quand il a 23 ans, en partie du fait de sa réputation de débauché déjà bien établie.
Alors qu’il est démobilisé, son père lui cherche une riche héritière.
Renée-Pélagie, son épouse, l’aimera autant qu’elle le pourra, en dépit de toutes ses frasques. Car en parallèle, Sade fréquente assidûment divers bordels, et est arrêté cinq mois après son mariage pour « débauche outrée », sur la base de la plainte d’une prostituée qu’il a violentée, et qui a surtout été choquée par ses blasphèmes et actes sacrilèges.
Il faut dire que Sade est peut-être déjà l’athée et l’anticlérical virulent que l’Histoire retiendra. Or sous un régime monarchique de droit divin, ça passe assez mal.
Grâce à l’intervention de son père, il ne va rester enfermé que quinze jours, mais ce n’est que le début de ses ennuis.
Du temps, en prison, il va en passer beaucoup, et un certain nombre de ses écrits y seront rédigés, comme les Cent vingt journées de Sodome.

Son œuvre

Je ne vais pas faire la liste, ici, des ouvrages qu’il a laissés derrière lui, et il est possible que certains d’entre eux aient été perdus, notamment en 1789, lors de son transfert de la Bastille à Charenton, dans un hospice pour malades mentaux.
Pour ma part, j’ai lu Les infortunes de la vertu, première version de ce qui deviendra Justine ou les malheurs de la vertu, qui sera de nouveau remaniée pour devenir La nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu.
J’ai également lu La philosophie dans le boudoir.

J’ai déjà donné mon point de vue global à propos de ces écrits dans un extrait du premier tome de Ma soumise, mon amour, et dans un autre, du second tome, et que je publie ici en avant-première :

 

Extrait du Tome 1 de Ma soumise, mon amour :

J’ai entendu et lu de nombreuses louanges au sujet du divin marquis, et force est de constater que ses idées sont remarquablement exprimées. Sade ne manque pas d’esprit mais son talent réside dans le développement de théories dangereuses. Il est séduisant de prime abord, mais ce livre n’en reste pas moins un vibrant éloge de l’anarchie. Ce fantasque personnage justifie, avec brio, qu’il est utile de s’affranchir de nombre de tabous. J’adhère tout à fait à l’inutilité de certains interdits de l’époque, tels que la sodomie ou les rapports homosexuels par exemple. D’ailleurs, au fil des pages, je constate que Sade semble très attaché au plaisir anal masculin, il est très prolixe à ce sujet. Par contre, il disserte avec une aisance égale sur l’intérêt de l’adultère, du viol, de tortures diverses et variées, et veut justifier le plaisir sadique que l’on peut trouver à donner la mort.

Extrait du Tome 2 de Ma soumise, mon amour :

Là, enfin serein, je me plonge dans un autre volume de Sade. Lire cet auteur, dans ce lieu témoin de jouissances raffinées, renforce le plaisir que j’ai à découvrir les affres de la pauvre Justine. Il me suffit de lever les yeux pour imaginer sans peine les bacchanales sadiennes. Cette lecture me fait du bien, elle m’aide à m’évader du quotidien, à oublier temporairement mes responsabilités, mes tracas, mes erreurs et ma fatigante imperfection. J’en oublie même que, dans l’ensemble, je n’aime pas Sade. Je ne fais que jouir sans retenue de sa liberté d’esprit et des fantasques orgies qu’elle lui a inspirées. Qu’il ait perverti les notions de bien et de mal, je ne m’en soucie pas.

 

Pour information, le terme sadisme apparaît dans un dictionnaire pour la première fois en 1834, et sera transposé dans de nombreuses langues.

Ses crimes

Pour simplifier, jusqu’en 1768, on pouvait encore qualifier de frasques, la mauvaise conduite du marquis, mais ensuite on ne peut plus être aussi mesuré.

 

L’affaire d’Arcueil

 

Au printemps 1768, Sade trompe une veuve de 36 ans qui demandait l’aumône. Pour endormir sa méfiance, il lui propose une place de gouvernante, et de cette façon il l’attire dans sa garçonnière d’Arcueil.
Là, il l’attache sur un lit, la fouette cruellement, puis soigne ses blessures avec un baume avant de recommencer, en la menaçant de la tuer si elle n’arrête pas de crier. Enfin, il la contraint à des pratiques blasphématoires le dimanche de Pâques.
La victime réussit à s’enfuir par la fenêtre, et l’affaire fait scandale.
Là encore sa famille fera tout pour le soustraire à la justice, et après quelques mois d’incarcération, le roi fait libérer Sade, en lui enjoignant de se retirer dans ses terres.

 

L’affaire de Marseille

 

En 1772, au cours d’une partouze avec 5 filles, Sade leur propose des pastilles à la cantharide, censées être aphrodisiaques. Deux filles se croient empoisonnées, les autres sont malades.
Comme en 1768, la rumeur enfle et la vérité est très vite transformée, accusant Sade de plus que ce qu’il a vraiment fait.
Sade s’enfuit en Italie, alors qu’il est condamné par contumace à la peine de mort pour empoisonnement et sodomie.
Pendant les années qui suivent, la mère de Sade continue de protéger son fils envers et contre tous, allant jusqu’à soudoyer des gardes pour le faire évader, alors qu’il a parallèlement séduit sa jeune belle-sœur Anne-Prospère de Launay, chanoinesse de 19 ans, qui lui écrira avec son sang une lettre passionnée : « Je jure à M. le marquis de Sade, mon amant, de n’être jamais qu’à lui… »

 

L’affaire des « petites filles »

 

En 1774, il recrute à Lyon et à Vienne, cinq très jeunes filles, un jeune secrétaire, et trois autres filles décrites « d’âge et d’état à ne point être redemandées par leurs parents ». Pourtant ceux-ci portent plainte pour enlèvement fait à leur insu et par séduction.
Une procédure criminelle est ouverte, mais la famille de Sade étouffe l’affaire (toutes les pièces de la procédure ont disparu)
L’affaire est connue via les lettres conservées par un notaire, qui ont été publiées en 1929 :

 » L’affaire est grave car le marquis a de nouveau joué du canif. Une des enfants, la plus endommagée, est conduite en secret à Saumane chez l’abbé de Sade qui se montre très embarrassé de sa garde et, sur les propos de la petite victime, accuse nettement son neveu. »

Elle n’est pas la seule à avoir parlé, et les propos des autres victimes sont d’autant plus difficiles à réfuter qu’elles portent, sur leurs bras et sur leurs corps, les preuves de ce qu’elles racontent.

Conclusion

Le marquis de Sade, assurément, était un séducteur efficace. Ses mots, notamment, tendent à l’idéaliser. Et il faut faire la part des choses pour voir qui il semble avoir vraiment été.
En 1783, il écrit ces mots à sa femme, alors qu’il est en prison depuis 1777 et qu’il y restera jusqu’en 1790 :

 

 » Le plus honnête, le plus franc et le plus délicat des hommes, le plus compatissant, le plus bienfaisant, idolâtre de mes enfants, pour le bonheur desquels je me mettrais au feu (…) Voilà mes vertus. Pour quant à mes vices : impérieux, colère, emporté, extrême en tout, d’un dérèglement d’imagination sur les mœurs qui de la vie n’a eu son pareil, athée jusqu’au fanatisme, en deux mots me voilà, et encore un coup, ou tuez-moi ou prenez-moi comme cela ; car je ne changerai pas. (…)
Si, comme vous dites, on met ma liberté au prix du sacrifice de mes principes ou de mes goûts, nous pouvons nous dire un éternel adieu, car je sacrifierais, plutôt qu’eux, mille vies et mille libertés, si je les avais. »

 

En lisant ces lignes, on a envie de le comprendre, d’avoir pitié de lui, de l’aimer en quelque sorte.
Son caractère entier et inflexible transparaît dans ces quelques lignes. La grandeur de ses principes et son attrait pour la liberté d’expression est magnifique. On y voit du génie.
Et pourtant, ces mots sont-ils conformes à la réalité ?
Sade est délicat ? Compatissant ? Bienfaisant ?
Ce n’est sûrement pas l’avis de ses victimes !

 

Aujourd’hui, dans la mémoire collective, Sade est le Divin Marquis. En particulier, ce surnom est très présent dans l’univers BDSM, ou Sade est populaire. Ce qui est dû, assurément, à la grande qualité de ses écrits et à la liberté de ton dont il fait preuve. Les œuvres de Sade sont un support aux fantasmes les plus débridés, et les lire fait du bien. Elles nous libèrent des carcans sociaux le temps de quelques heures.
Mais l’imagerie populaire d’un Sade esthète et épicurien est très éloignée de ce qu’était vraiment cet homme torturé. Cela donne des paradoxes. Par exemple, l’univers du BDSM, dans lequel Sade est très mis en avant, est un monde dans lequel la notion de consentement est essentielle. Et il est évident que Sade ne s’embarrassait pas avec ça.

 

En fin de compte, brandir le Marquis de Sade comme étendard d’une sensualité et d’une sexualité décomplexée, il me semble que c’est aussi malvenu que de choisir Gabriel Matzneff pour garder des enfants, ou que de confier un compte en banque à Bernard Madoff.

 

Les liens :

 

– Page wikipedia de Sade : https://fr.wikipedia.org/wiki/Donatien_Alphonse_Fran%C3%A7ois_de_Sade

 

Notre histoire :

 

La série Maître et soumise, leur histoire est un double roman BDSM, raconté pour l’un du point de vue du maître, et pour l’autre du point de vue de la soumise. Elle se compose de 4 tomes dont 2 sont déjà parus :

 

Ma soumise, mon amour, Tome 1 (septembre 2022)
– version e-book : https://www.amazon.fr/dp/B0BDMWCYR6/
– version papier : https://www.amazon.fr/dp/2494242002/

 

Mon Maître, mon amour, Tome 1 (juin 2023)
– version e-book : https://www.amazon.fr/dp/B0C9H2GYK9/
– version papier : https://www.amazon.fr/dp/2494243009/

 

Ma soumise, mon amour, Tome 2 sortira en décembre 2023
Mon Maître, mon amour, Tome 2 sortira en juin 2024.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *