Steve Haldeman

Ma soumise, mon amour, Tome 1

Extrait

CHAPITRE 1

LE PROJET DE VIE

Depuis que je suis parti de Lyon, j’observe les gens dans la rame. J’aime ça. Habitué de cette ligne, je retrouve souvent les mêmes têtes. La proximité fait que l’on entend beaucoup de choses, si bien que ce que je connais de mes voisins dépasse, de loin, leur simple apparence. En savoir plus sur leur vie m’amène trop souvent à constater l’ampleur de la misère humaine.

Cette jeune femme par exemple, Mélinda, assise trois rangs devant moi. C’est une belle femme, la trentaine. Elle arbore un sourire qui plaît et ses collègues sont sous le charme. Elle donne l’impression qu’elle s’éclate dans son boulot et qu’elle est épanouie, mais c’est faux. Au travers des bribes de discussion que j’ai perçues depuis près de trois mois que je la croise, je sais qu’elle est divorcée et qu’elle a la charge de deux enfants qu’elle a eus trop tôt. Elle ne parvient plus à assumer leur éducation et d’une façon générale, sa vie lui échappe. Elle le sait, mais elle continue comme ça.

Il y a aussi ce représentant de commerce, Bernard. Il est bien habillé et très préoccupé par ses chaussures. Il m’amuse et m’agace à avoir toujours peur qu’on les lui abîme, et à les essuyer quand un garnement lui marche dessus. De sa montre aussi, il est très fier. Il y a deux ou trois mois, il a trouvé une bonne âme pour lui parler de son mécanisme sophistiqué, et de son assurance que c’était là un objet de séduction imparable. J’ai la sensation qu’il serait nu sans ces accessoires, et qu’il n’est pas capable d’être, juste par lui-même. Il n’est pas heureux lui non plus, ça se voit, ça crève les yeux. Les personnes heureuses n’ont pas besoin de convaincre les autres qu’elles le sont.

Dans ce train, il y a des voyageurs qui m’ont donné une impression plus positive. Parmi eux, il y a Huguette Grosbonnet. Des dents blanches sur un visage noir charbon, un look de fermière du siècle dernier et, parce que le hasard est parfois facétieux, une poitrine démesurée. Cette dame, d’un âge respectable, n’est pas là aujourd’hui et c’est bien dommage car j’aime discuter avec elle. Elle n’a pas eu de chance dans la vie. Pourtant, elle a toujours un sourire incroyable vissé sur la figure. Au début je me suis dit : « Tiens, voilà une personne de qualité ! » Mais Huguette a son secret pour encaisser, elle croit en Dieu. C’est sa façon de tout accepter, sans se poser de questions.

Le dieu de Huguette, le fric de Bernard et la résignation de Mélinda sont trois exemples de la faiblesse humaine. Et quand je regarde les gens, j’ai souvent l’impression qu’ils sont misérables. Pourtant il suffit de faire les bons choix ! Être honnête avec soi-même, avoir le goût de l’effort, et s’adapter au monde qui nous entoure. Si nous savions tous appliquer ces trois grands principes, nous serions heureux !

Avant, je croyais que nous y étions tous aptes, mais plus maintenant. Alors suis-je différent ? Je le pense, oui. Et pour cause, je n’ai pas perdu mes belles idées, ces désirs d’absolu que l’on forme en général à l’adolescence, et qui sont la promesse d’un avenir meilleur. Ces mêmes idées qui, plus tard, se heurtent violemment à la réalité du monde adulte et qui, pour l’essentiel, en sont les victimes. Aujourd’hui, ces principes sont mes bases les plus solides car je n’ai rien lâché. En moi la raison et l’idéal ne se sont pas confrontés, ils se sont mariés. Partout où je suis passé et chez les personnes que j’ai croisées, j’ai rarement vu ce résultat. C’est ce qui fait ma supériorité.

Cela fait des années que je me perçois ainsi et chaque expérience, chaque jour qui passe renforcent ma conviction. Plus encore depuis que je suis chef d’entreprise. Cette profession m’était toute destinée et ce fut vraiment jouissif au début. Mes employés, pour une part, dépendent de moi et cela gonfle mon orgueil évidemment, mais c’est aussi frustrant. Cette position m’oblige à conserver une certaine distance avec eux, en particulier en ce qui concerne leur vie privée.

Pourtant, je pense que certaines personnes gagneraient à remettre leur volonté dans les mains de ceux qui l’assumeraient mieux, quitte à être un temps la marionnette de leur maître. J’ai envie de donner à mon existence une orientation qui corresponde à cette vision, et c’est précisément cette pensée qui accapare mon esprit ces temps-ci.

Mon portable sonne.

C’est Chloé.

J’adore Chloé, c’est ma meilleure amie. On s’est connus alors qu’elle était en fac de droit et moi en classe préparatoire aux écoles d’ingénieur. Au début je la pensais hautaine et un peu pimbêche, mais entre nous le courant est vite passé. C’est la seule personne avec qui je m’entende si bien. Difficile d’expliquer pourquoi, mais il a vite suffi d’un regard pour avoir la même idée à l’esprit, pour être en phase tout bonnement. Nous avons le même humour souvent teinté d’ironie et avec elle, j’ai l’impression d’avoir une sœur. D’ailleurs elle doit m’héberger ce soir.

‒ Bonjour Marc. Ça va ? Ton train arrivera à l’heure ?

‒ Oui. Il y a eu un ralentissement au Creusot, mais ça ira.

‒ Tant mieux. C’est toujours le bazar pour se stationner à la Gare de Lyon.

‒ Oh ! Tu viens me chercher ? T’es maso, tu vas te payer la traversée de Paris à cette heure ?

‒ Il faut le dire si tu n’as pas envie de me voir, hein ? Je prends soin de toi, je t’épargne le métro et c’est comme ça que ma bonne action est accueillie ?

‒ Mais non, c’est juste que ce n’est pas la peine, je peux me débrouiller.

‒ Que nenni mon cher, j’ai plein de questions à te poser. Et comme Olivier est encore là, on ne sera pas tranquilles tout de suite. Alors j’en profiterai dans la voiture.

Je l’entends farfouiller une seconde, puis elle m’annonce qu’il est sept heures et quart et qu’il faut qu’elle parte tout de suite si elle ne veut pas me faire attendre.

La dernière fois que j’ai vu Chloé, il y a deux semaines, je lui ai parlé de mon point de vue, de ma supériorité, et de l’envie que j’ai d’influer sur le destin d’autres personnes. Je m’étais demandé comment elle allait réagir, parce que j’ai bien conscience que cela peut me faire passer pour quelqu’un de suffisant. Mais je savais qu’elle ne s’en offusquerait pas. Elle s’est amusée de ce qu’elle a appelé mes masturbations cérébrales. La conversation s’étant déroulée sur un trottoir avant qu’on se quitte, Chloé n’est pas allée plus loin. Mais visiblement elle n’a pas oublié.

Les paysages campagnards nocturnes ont laissé place aux lumières de la ville et le train a beaucoup ralenti. Je me suis posté devant la porte du train, avant l’arrêt, pour pouvoir échapper à la cohue des voyageurs, mais c’est peine perdue. Arrivé au bout du quai, c’est bondé. Ça se croise dans tous les sens, ça se bouscule, ça peste. Visiblement, trois trains ont déversé leurs voyageurs en même temps.

Dehors il pleut, mais ce début de mois d’octobre est assez clément.

Au pied du beffroi, pas de Chloé en vue, mais je repère son véhicule en contrebas. Mon amie en sort alors que je m’avance, et elle vient me faire quatre bises. Elle a le sourire et un petit air malicieux. Elle m’ouvre le coffre où je glisse mon sac de voyage ainsi que la sacoche de mon portable, et je passe vite à droite pour éviter la pluie qui tombe un peu plus fort.

Dans la voiture je m’aperçois qu’elle est ravissante, comme d’habitude. Elle porte un tailleur gris avec des chaussures assorties.

Je l’ai toujours connue très coquette. Tout lui va. Ce n’est pas parce qu’elle a un physique facile, mais parce qu’elle est à l’aise, tout simplement. Chloé, qu’elle soit en salopette et bottes en caoutchouc, ou bien en robe fourreau et talons aiguilles, elle a toujours la même expression un peu mutine et comme un air de défi sur le visage. C’est le genre de fille qui assume parfaitement sa féminité, sa sexualité aussi. Et ça, forcément, ça attire bien des hommes, bien des femmes aussi. Elle le sait et en profite, sans pour autant collectionner.

‒ Tu es superbe.

‒ Oui ça va, je sais, me dit-elle sur un air faussement orgueilleux. Toi par contre tu as l’air fatigué, mais ne crois pas que je vais t’épargner. J’ai beaucoup repensé à notre dernière discussion.

‒ Super ! Mais au fait, pourquoi Olivier ne reste pas ce soir ?

Sa mine se renfrogne.

‒ Ah ! Olivier…

Elle tourne vers moi un regard embêté.

‒ Allez ! Tu t’en fous d’Olivier ! Et puis je n’ai pas envie de parler de lui. On va arriver et je n’aurai pas le temps de savoir ce que je veux !

‒ Pour ça il faudrait que tu démarres ! On n’a pas encore bougé.

Je boucle ma ceinture de sécurité et, profitant du feu vert, elle s’engage sur le boulevard Diderot pour rejoindre le VIIe arrondissement.

‒ Tu ne l’aimes plus ?

‒ T’es chiant ! Tu le sais ça ? T’as gagné. Je sais pas si je l’ai jamais aimé et en ce moment il m’agace. Mais de toute façon ce n’est pas le sujet. J’ai envie de parler avec toi et pour ça je veux une soirée tranquille.

Je suis déçu pour elle mais je m’efforce de ne pas le lui montrer. Je ne lui ai jamais connu d’amour franc, et ça fait un moment que je m’inquiète de ne pas la voir plus heureuse que ça.

‒ Ok, je capitule, dis-je en souriant. Tu peux torturer le pauvre travailleur harassé que je suis. J’espère que tu auras des regrets après ma mort, et que ta conscience viendra te tarauder !

‒ Alors là mon p’tit père, compte là-dessus ! Bon. Pour commencer, tes idées sur ta supériorité ne m’ont pas choquée. À 28 ans, tu es le chef d’une entreprise florissante que tu as montée seul, alors il est clair que tu fais partie du haut du panier. Franchement, je suis étonnée qu’il t’ait fallu autant d’années pour t’en apercevoir !

Elle fait une pause le temps de négocier un changement de voie.

‒ Tu aimes ton rôle de dirigeant, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Mais ce que tu m’as dit, ça va plus loin. Et entre dirigeant et despote, la frontière est parfois mince. Alors je sens que tu as un truc pas clair dans la caboche, non ?

‒ Tu as peur que ton vieux copain tourne mal ? Qu’il vire fasciste, c’est ça ?

‒ J’y ai pensé, c’est vrai. Mais ce n’est pas crédible, je te connais. Je sens juste que ta réflexion a dû te mener quelque part. Allez ! Arrête ton petit jeu et réponds-moi franchement.

‒ Ok. Tu m’as déjà connu avec une compagne plus de trois semaines ?

‒ Non. Quel rapport ?

‒ Honnêtement, je n’en voyais pas non plus jusqu’à il y a peu. Mais maintenant je suis bien persuadé qu’il y en a un.

‒ Explique ?

‒ Je t’ai toujours dit que si je n’étais jamais resté longtemps avec une femme, c’est parce que je n’étais pas tombé amoureux. Et en effet, quand je sens que ça ne va pas, je préfère saborder une relation sans avenir.

‒ Oui, je n’ai jamais su quoi en penser. Amélie, que je t’ai présentée, n’a pas compris non plus. D’après elle, tu n’as pas pris le temps de voir si ça pouvait marcher.

‒ Eh bien je n’avais pas trop réfléchi aux raisons de ces échecs ni à celles de mon célibat quasi continu. En tout cas, pas assez.

‒ Oui, dit-elle, mutine. C’est à se demander si tu es fait comme tout le monde, hein ! Parce que vivre sans sexe, c’est pas humain.

Nous entrons rue Rousselet, où habite Chloé. Elle s’arrête en face d’une porte de garage, active un bip, et s’engage dans la rampe menant au sous-sol. Alors qu’elle vient de se garer, elle se fige soudain.

‒ Tu es en train de m’annoncer que tu es gay ?

‒ Gay ? Moi ? Mais non ! Rien à voir ! Je n’ai aucune attirance pour les hommes. Aucune.

Elle me regarde avec un drôle d’air alors que nous entrons dans l’ascenseur.

‒ Tu as quand même réussi à ne pas me donner ton explication ! me dit-elle en souriant.

‒ J’aurai tout le temps de t’en reparler pendant la soirée, ne t’inquiète pas. D’ailleurs, je suis ravi que tu m’aies branché toi-même sur le sujet.

Nous sortons sur le palier et l’instant d’après, Olivier nous ouvre.

C’est la première fois que je le rencontre et il me paraît tout de suite conforme aux descriptions de Chloé. Au-delà de son apparence de jeune premier, je le sens gêné. C’est compréhensible, car sa petite amie s’apprête à héberger un homme qu’il ne connaît pas. Pour ne rien arranger, il est clair que sa volonté s’est heurtée à celle de sa compagne, et qu’il n’a pas eu le dessus. En plus, Chloé n’est pas très agréable avec lui. Comme il reste interdit sur le palier sans nous accueillir, elle le rabroue.

Pour détendre un peu l’atmosphère, je le questionne sur son métier de trader. Alors que par courtoisie il emporte mes bagages dans la chambre d’ami, je l’entends me donner des réponses évasives sur la volatilité des cours de bourse. Chloé s’est éclipsée sans même l’embrasser et de l’étage, elle m’invite à me mettre à l’aise.

Son appartement est magnifique. Le plafond cathédrale, incurvé pour suivre la courbe du toit haussmannien, passe par-dessus la balustrade de la mezzanine, pour rejoindre la verrière qui occupe toute la largeur de la pièce. En plus, la vue donne sur la belle symétrie du parc de la Clinique Saint-Jean-de-Dieu.

Le couple me rejoint bientôt autour de la table basse, sur laquelle sont disposées quelques coupelles de gâteaux et de fruits secs.

Au cours de l’apéritif, l’ambiance est lourde. Chloé a l’air détendue mais elle ne semble pas disposée à relaxer son compagnon. Elle n’a qu’une envie, c’est qu’il s’en aille, comme elle me l’a fait comprendre. Olivier, lui, est toujours aussi mal à l’aise. Un silence pesant finit par s’installer. Pour en sortir, je demande à Olivier s’il reste manger avec nous, avec l’espoir que Chloé le congédie pour que ça s’arrête.

Ça ne rate pas.

Sous prétexte de la longue route qui l’attend, elle l’invite à ne pas tarder. Il ne répond rien mais sa contrariété crève les yeux. J’ai pitié de lui, mais je finis par me lasser de son air de chien battu. Sur le ton de la provocation, je lui dis qu’il ne faut pas qu’il s’inquiète, parce que je prendrai bien soin de sa compagne. J’imagine qu’il va en profiter pour me répondre quelque chose de bien senti, mais non, il reste impassible. Au bout d’un moment il vide le fond de son verre et me souhaite une bonne soirée. Chloé le raccompagne dans l’entrée et bientôt j’entends la porte de l’appartement se refermer. Lorsqu’elle revient dans le salon, elle a un air bizarre.

‒ Dis donc, ton bonhomme a toujours été comme ça, ou c’est toi qui as un effet castrateur ?

Ça n’a pas le don de la faire rire.

‒ Hum. Désolé, mais tu n’as pas l’air heureuse.

Elle me regarde avec un sourire mélancolique.

‒ C’est gentil de t’inquiéter pour moi, mais ne t’en fais pas. Je me cherche, c’est tout, et je ne suis pas sûre qu’Olivier et moi allions ensemble. Je te l’ai dit tout à l’heure, il y a quelque chose dans son caractère qui me déplaît. Comme une sorte de faiblesse que j’ai pris au début pour de la gentillesse.

Elle marque une pause.

‒ Je n’ai pas envie d’en parler. Et puis maintenant qu’il est parti, dis-moi enfin ce que tu comptes faire.

‒ D’accord. Eh bien, je te parlais des raisons pour lesquelles je n’ai jamais eu de relation longue. Je sais pourquoi maintenant. Je veux une relation plus forte, une histoire d’amour sans concession, quelque chose qui me corresponde vraiment.

‒ Ok. Et donc ?

‒ Je pense que seule une femme soumise pourrait me plaire.

Comme je m’y attendais, elle roule des yeux, puis éclate de rire.

‒ J’aurais bien envie de te vanner si tu n’avais pas l’air si sérieux. D’autant que je me doutais, enfin je pressentais vaguement que tu en viendrais à quelque chose de ce genre.

Nous nous observons mutuellement.

‒ Tu sais, je doute que tu puisses aimer une fille sans âme.

‒ Houlà ! Je ne pense pas à quelqu’un qui n’ait pas de caractère ! Je parle d’une femme ayant un fort penchant pour la docilité et qui l’assume pleinement, pas uniquement par jeu comme beaucoup y seraient facilement disposées. Je voudrais une femme qui accepte que je la dirige et qui souhaite m’obéir.

‒ Mouais… une esclave en gros ! C’est un fantasme ça. Tu ne crois pas vraiment que ça puisse exister, si ?

‒ Peut-être. Je verrai bien.

Chloé me regarde hilare, sans rien dire, puis se met à me balancer des coussins en riant.

‒ Alors là mon p’tit père, ça ne va pas se passer comme ça !

Elle se lève et vient m’ébouriffer, joyeuse comme une gamine.

‒ On va manger et après, tu auras intérêt à trouver mieux comme échappatoire ou ça va être la guerre. J’ai quand même plein de questions à te poser !

Dans la cuisine, je l’aide à préparer le repas et à mettre la table. Après quelques minutes une cocotte fumante est servie et l’odeur qui en émane me fait saliver. Je ne m’en suis pas aperçu jusqu’à présent, mais j’ai une faim de loup.

Pendant que nous mangeons, Chloé s’enquiert de la nature de mes activités à Lyon. Puis elle s’amuse à me chambrer, à mimer le maniement du fouet avec une expression comique très réussie.

Alors que nous finissons nos assiettes, je relève la tête et la fixe plus sérieusement.

‒ Tu ne bats pas Olivier au moins ?

Elle rit.

‒ J’en étais sûr ! J’ai bien vu son air abattu en partant. T’es une vicieuse, je le sais. Je parierais que tu le brimes et que tu l’humilies !

Elle rit mais ne répond rien. Mon trait d’humour ne doit pas être aussi fin que je l’ai estimé.

Le dessert avalé, elle débarrasse la table et revient sur le sujet de la soirée.

‒ Bon, qu’est-ce qui te fait penser qu’une femme soumise pourrait te plaire ? Tu ne crois pas que tu pourrais t’en lasser ?

‒ Hum, non, je ne crois pas. Ça pourrait arriver si je voyais ça comme un jeu, mais ce n’est pas le cas.

‒ Mais dans la pratique, pourquoi tu en as envie ?

‒ Parce que je pense qu’en dominant une femme qui en ressent le besoin, je pourrais lui apporter de la sérénité. Et puis le désir de se sentir puissant est ancré en chacun de nous, et chez moi c’est assez virulent.

‒ Bon. Donc tu vas te trouver une gentille petite femme bien docile, et puis voilà ! C’est excitant je trouve. J’ai hâte de voir ça !

‒ C’est pas aussi simple de mon point de vue. Comment juger du caractère de celle que je vais rencontrer, de la pérennité de ses dispositions ? Et puis jusqu’où suis-je prêt à aller pour ça ? Se faire obéir signifie aussi savoir punir. Comment ? À quel point ? Je pense qu’il y a là matière à d’importantes réflexions que je ne veux pas négliger sous peine de me fourvoyer.

‒ Tu me fais bien rire avec le ton doctoral que tu prends pour m’expliquer tout ça ! Tu as l’air très convaincu en tous les cas.

‒ Je le suis, c’est sûr !

Je l’observe un instant.

‒ Ma chère, vous m’avez l’air d’avoir obtenu toutes les réponses que vous désiriez. Il est temps que je vous questionne à mon tour !

‒ À propos de quoi ?

‒ Je vois bien que ce discours sur la soumission ne vous laisse pas indifférente Mademoiselle Chloé Journay. Alors, qu’en est-il ?

‒ Euh, 23 h 30 déjà, mais c’est qu’il est tard !

Elle me sourit comme si elle demandait grâce mais me voyant intraitable, elle capitule.

‒ Bon, bon, d’accord, tu n’as pas tort. Ça m’intéresse parce que je me pose des questions en ce moment.

Elle se lève, me propose une infusion et met une casserole d’eau à chauffer.

‒ Puisque tu l’as remarqué, ça ne va pas avec Olivier. En fait je sais que c’est fini, je ne vais pas tarder à le lui dire. Je ne l’aime pas. Il y a des choses qui me déplaisent ou qui me frustrent chez lui, et ce n’est pas le premier qui me donne cette impression. En écoutant ce que tu as dit la dernière fois et encore plus maintenant, j’ai la sensation que ça pourrait bien venir de moi. Peut-être qu’il me faut quelqu’un qui ait du caractère.

Je souris aussitôt.

‒ Je te vois venir ! me dit-elle. Ce n’est pas du tout ce que tu crois ! Je n’ai rien d’une femme soumise. Au contraire, l’inverse pourrait m’amuser et plutôt deux fois qu’une. C’est pour ça que tu m’intéresses. Moi aussi j’ai cette envie de dominer parfois, mais par jeu, pas comme toi. Ce que je voulais dire, c’est que si je rencontre quelqu’un qui me fait vraiment vibrer, peut-être que je pourrais m’adoucir, ou faire des concessions.

‒ Pour ce que je connais de tes aventures, je suis d’accord avec toi sur un point. Tu n’as jamais choisi de partenaires à ta mesure. Tu les écrases sous ta personnalité. Les pauvres ne se sentent pas à la hauteur et pourtant ils sont subjugués.

‒ Tu exagères ! Tu me dépeins comme une femme inaccessible et froide…

‒ Et autoritaire, et castratrice, une vraie furie perverse, je le sais bien !

‒ T’es con, me dit-elle en souriant.

‒ Oui, j’avoue. Mais pour en revenir à ce que tu disais, je pense que tu devrais choisir tes amants autrement, ou assumer vraiment ton caractère fort.

Chloé reste pensive.

‒ J’imagine que tu as raison, mais ça ne me paraît pas si simple.

‒ Essaye de changer de milieu, pour rencontrer d’autres personnes ! Pour ça, j’aurais bien quelque chose de malhonnête à te proposer. C’est une des raisons pour lesquelles je t’ai parlé de tout ça.

‒ Ah ?

‒ Oui, c’est une proposition un peu limite d’ailleurs. Je t’explique. L’éducation de ma future femme sera complexe à réaliser et je pressens que j’aurai besoin d’aide. J’ai pensé à toi.

Elle plisse les yeux, et mime une grimace.

‒ Dans le cadre de tes machinations machiavéliques, ton esprit tordu a concocté un plan secret sadomaso pour…

‒ Sadomaso, moi ? Mais pas du tout ma chère !

‒ Ah ? s’étonne-t-elle. Ben zut alors, j’avais espéré.

Sa réaction me plaît et me fait rire.

‒ Oui, sadomaso si tu veux. L’idée a l’air de t’amuser !

‒ Tu me proposais de changer d’air ! Comme ça pourrait me plaire, je ne vois pas pourquoi je me priverais. Mais bon, je dis ça, je ne sais pas en quoi tu pourrais m’associer à tes conspirations. Alors justement, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

‒ Eh bien tu pourrais m’aider de plusieurs façons. En me permettant de surprendre celle que je choisirai par exemple.

Chloé a tout un tas de questions qui lui viennent en vrac, alors je m’efforce de la rassurer. Déjà, je n’ai aucune intention de lui demander quelque chose dont elle n’aurait pas envie. Je compte juste sur sa liberté et son aisance avec les choses du sexe.

Comme elle insiste je lui dis que, par exemple, je m’attends à trouver une femme n’ayant aucune expérience de la bisexualité.

‒ Je pourrais envisager de te solliciter pour m’aider à faire fondre ses résistances.

‒ Si ce n’est que ça ! Mais tu peux aussi parler de répulsion. Ne compte pas sur moi pour forcer qui que ce soit à quoi que ce soit. Et puis encore faudrait-il qu’elle me plaise !

‒ Ne t’inquiète pas, je n’ai pas une âme de violeur. J’ai parlé de faire fondre, pas de brutaliser. Et puis tu verras bien quand ça se présentera.

Chloé acquiesce. Sa curiosité est satisfaite pour le moment.

Comme il se fait tard, je lui demande si elle travaille demain.

‒ Non, me répond-elle en bâillant. Et heureusement, je suis vannée !

Nous décidons d’aller nous coucher.

***

Le lendemain matin, après le petit déjeuner, Chloé remet le sujet sur le tapis.

‒ Tu es sûr que tu ne veux pas d’un soumis ? Je te promets que je t’aiderai aussi.

‒ Pour ça je crois que tu peux te débrouiller toute seule. Essaye de convaincre Olivier !

‒ Ah non ! Pas lui ! Je vais le quitter dès cet après-midi. Je me suis fourvoyée, cette relation n’aurait rien donné. Je ne sais même plus pourquoi il m’a attirée. Mais sinon, que penses-tu de revoir Amélie ?

‒ Mouais, je ne sais pas. Pourquoi ?

Chloé me sourit et je comprends que cette question trahit surtout son intérêt à elle.

‒ Elle te plaît ?

‒ Je ne sais pas mais c’est vrai qu’elle est belle. Et puis je la trouve trop sage parfois. Je ne peux pas m’empêcher de croire que ça doit cacher quelque chose. Si elle est comme ça au lit, ça ne doit pas être folichon !

‒ Eh bien essaye d’en faire ta poupée !

‒ Je ne sais pas si je pourrais. Je ne me vois pas faire ça. Toi, t’es hyper sérieux quand tu me parles de ce genre de relation. Moi, je risque de piquer un fou rire, ou de ne pas savoir quoi faire.

‒ C’est toi qui vois.

L’horloge indique 11 h 30.

‒ Je vais devoir te laisser. Je dois arriver avant les déménageurs, ils n’ont pas les clés.

‒ Il va falloir que je parte aussi. Je dois rejoindre Olivier, on doit manger chez ses parents. Ils sont adorables, je ne me sens pas de le planter juste avant le repas.

Dix minutes plus tard nous émergeons du sous-sol, et Chloé me dépose devant une bouche de métro.

Alors que je suis ballotté dans le RER, je repense à tout ce que j’ai accompli depuis que j’ai créé mon affaire, rue Victor Massé, à Paris. C’était sympa de loger au-dessus de mes bureaux, mais c’est vite devenu trop petit. Il était temps de trouver une solution. Cet immeuble quasi neuf, que j’ai trouvé par adjudication il y a six mois, était une opportunité à ne pas rater. Il s’agissait d’une école inachevée sur deux hectares de terrain, située à Magny-le-Hongre, à côté de Disneyland. Depuis trois mois j’ai fait aménager l’aile nord pour y créer le siège de mon entreprise. J’y ai aussi créé mon habitation.

C’est parce qu’il y a eu du retard dans les travaux que Chloé m’a hébergé cette nuit. Au tout dernier moment, il s’est avéré que je ne pourrais pas emménager alors que mon appartement parisien avait été vidé avant mon départ pour Lyon. Maintenant je vais pouvoir continuer à habiter juste au-dessus de ma société. C’est un luxe dont je n’avais pas envie de me passer.

Ragaillardi par cette vision d’un futur aussi proche que plaisant, je me laisse bercer par le sifflement du train qui glisse sur les rails.

CHAPITRE 2

LES PREMIERES EXPÉRIENCES

Cela fait une semaine que Chloé m’a hébergé.

Mon emménagement s’est bien passé, mais celui de l’entreprise est plus compliqué. J’avais prévu une installation échelonnée sur une semaine afin de pouvoir tout superviser sans hâte, mais vendredi soir rien n’était terminé. La réorganisation des locaux de Paris et l’arrivée d’une dizaine de nouveaux employés m’ont accaparé plus que je ne l’avais envisagé. Je n’ai même pas pu me rendre à l’agence de Lyon comme je le fais habituellement.

J’ai cru que j’allais pouvoir profiter du week-end pour chercher l’âme sœur, mais il en est autrement. Les Merceveaux, des amis de la famille, m’ont appelé jeudi pour me faire part de soucis concernant leur fille. Je suis allé les voir aussitôt.

Juliette, la raison de leur appel, est leur troisième et dernière enfant. Nous avons presque le même âge et avons longtemps été proches, mais à l’adolescence nous nous sommes perdus de vue. Cette période a été difficile pour elle. C’était une enfant équilibrée et pleine de vie mais lorsque je l’ai revue, elle avait déjà 20 ans et je ne l’ai pas reconnue. Maintenant elle en a 27, et elle est complètement à la dérive. Pour d’obscures raisons elle ne veut plus voir ses parents, et depuis des années ils s’inquiètent de la voir mal tourner. Comme ils m’en parlent souvent, il m’est arrivé de servir d’intermédiaire pour les rassurer, vérifier qu’elle ne fait pas de bêtises ou que personne n’abuse d’elle.

Cette fois une nouvelle étape dans la déchéance a été franchie. Un type louche, traînant Juliette derrière lui, a débarqué chez les Merceveaux à l’improviste. Il réclamait la part d’héritage de leur fille à grand renfort d’insultes et de propos incohérents. Juliette s’est montrée mal à l’aise et visiblement abrutie pendant toute l’altercation. En me décrivant la scène, ses parents ont insisté sur son air de droguée. Ils ont voulu la convaincre de se laisser aider mais n’ont obtenu qu’un numéro de téléphone. Voyant que l’individu devenait de plus en plus énervé, ils ont fini par appeler la police, et le gaillard a pris la fuite avec Juliette sur les talons. En remontant dans leur voiture, il a laissé tomber le portefeuille qui dépassait d’une des poches arrière de son pantalon.

Les Merceveaux ont le cœur sur la main. Ils font partie de ces gens dont la porte m’a toujours été ouverte et je n’ai rien à leur refuser. Alors en rentrant le soir même, je me suis occupé de reprendre contact avec les deux pieds nickelés. Avec ses papiers, j’ai appris le nom du quidam, Hervé Pipriano. J’ai eu Juliette quelques instants au téléphone, avant qu’il ne s’en empare. D’emblée, il s’est montré suspicieux. Au début, il n’a pas voulu me donner son adresse, puis il m’a menti en me disant qu’ils habitaient dans le Poitou. Il m’a raccroché au nez, après m’avoir traité de facho.

De l’examen des documents de son portefeuille, j’ai pu tirer une adresse à Dijon.

Le samedi, après quelques recherches étayant mes doutes, je prends le risque de m’y rendre.

Je retrouve les deux olibrius dans un immeuble miteux. C’est Juliette qui me répond, sans ouvrir la porte. Il faut que je me présente et que j’insiste gentiment pour qu’elle m’ouvre. C’est la première fois que je la revois depuis plus d’un an et elle a l’air misérable, accoutrée dans une tenue qui se veut sexy, mais qui est moche et vulgaire. Sa surprise laisse place à l’embarras et à la honte. Elle me reproche de ne pas avoir prévenu de ma visite, sans pour autant me demander comment j’ai trouvé son adresse. Je voudrais discuter seul à seul avec elle, mais je n’en ai pas le temps. Pipriano, qui beugle du fond de l’appartement pour savoir qui a sonné, arrive trop vite. Je m’efforce de les rassurer tous les deux, voyant vite que face à face, le quidam n’a pas la même attitude arrogante qu’au téléphone. Juliette n’a pas le cœur à me laisser sur le paillasson et son conjoint me laisse entrer.

Leur appartement est crasseux et si couvert de détritus que le sol n’est même pas visible par endroits. Je les écoute et leur pose quelques questions, mais ils ne sont pas très clairs tous les deux. D’ailleurs, il flotte dans l’air une odeur forte de cannabis. Au travers des propos confus et délirants du voyou et des rares interventions de mon amie, je me fais une idée claire de la situation. Ce Pipriano manipule Juliette, sur qui il a visiblement beaucoup d’emprise. Elle est très fragile et affaiblie. Il passe son temps à me raconter des histoires de complots dénuées de sens. Il m’explique à plusieurs reprises qu’il aime Juliette d’un amour fort, tout en la traitant de salope et de pute dans la phrase suivante. Non seulement elle le laisse faire, mais en plus elle lui donne raison. Les réactions de mon amie d’enfance, ainsi que leurs récits d’événements glauques qui se seraient passés dans un club privé, me donnent à penser que leur sexualité est aussi pervertie que les sentiments qu’ils nourrissent l’un pour l’autre. Je ne saisis pas l’intégralité de ce qu’ils disent car ils sanglotent la plupart du temps, a priori honteux que je les voie dans cet état.

Avant de partir je dis à Juliette qu’elle est la bienvenue, si elle a besoin d’aide. Ayant des doutes sur leur hygiène, je lui recommande de faire attention aux MST. Cette phrase est de trop pour elle, je le vois dans ses yeux. Ça a fouetté le peu d’amour propre qu’il lui restait.

Le soir même, en rentrant de Dijon, je vais informer ses parents de la situation.

Ils doivent se rendre à l’évidence, leur fille est majeure et ne demande pas d’aide. On ne peut pas dire qu’elle soit en danger, du moins au sens de la loi, ni qu’elle relève d’une pathologie psychiatrique, encore que je me demande si ça ne finira pas par arriver. Bref, ils ne peuvent rien faire.

***

La semaine suivante est chargée elle aussi. Je prends le temps de m’assurer que mes employés ont pris leurs repères, qu’ils ne manquent de rien et que le déménagement n’a pas causé trop de désagréments. Je commence aussi à former un conseil de direction avec les responsables de service, pour mieux anticiper la montée en puissance de mes activités. J’aimerais trouver, parmi mes adjoints, un futur directeur général pour me décharger d’une part de mon travail. Je ne peux plus continuer à vivre uniquement pour mon boulot, et j’ai besoin de temps libre pour réaliser mon projet.

Je passe la fin de la semaine à l’agence de Lyon où je peux m’apercevoir que tout va bien. Là au moins, personne n’a été chamboulé, et Mathilde m’annonce la signature imminente de partenariats intéressants. Sur elle, je sens que je peux me reposer. Elle est très compétente et bienveillante avec son équipe.

Je rentre de Lyon rassuré, ravi de pouvoir aborder le week-end sereinement.

***

Ce matin je suis enfin tranquille, seul dans ce duplex confortable qui s’enroule autour d’une terrasse à deux niveaux. Aménagé au cœur du bâtiment où se trouve le siège de mon entreprise, il va me permettre de gagner beaucoup de temps. Mais surtout ce bel endroit va devenir l’écrin de la relation que j’entends y construire.

Sans tomber dans une débauche de luxe, j’ai voulu ici un peu de raffinement. L’appartement est spacieux, lumineux et bien aménagé. Chloé m’a aidé à chiner du mobilier et de la décoration originale, et j’ai fait installer un grand jacuzzi dans la partie couverte de la terrasse.

En plus, ce n’est qu’un début. Sur ce site, qui devait être une école, il y a d’autres bâtiments dont je n’ai pas l’usage pour le moment. Ils pourraient devenir autant de lieux où je pourrais profiter de ma soumise.

Après le petit déjeuner, je m’installe devant l’ordinateur du salon.

Cela fait quelques années que je fréquente un site de discussion en ligne. J’adore parler avec des inconnues, plus rarement des couples ou des hommes. J’aime découvrir une personne, ses joies, ses peurs, ses attentes. Ce mode de communication dispose d’un atout majeur pour ceux qui savent en tirer parti, car l’apparence et le physique sont relégués au second plan. Les idées, la façon de s’exprimer et les efforts faits pour se faire comprendre priment sur le reste. Cet avantage est parfois mis à mal par ceux qui profitent de l’anonymat électronique pour fantasmer, mais peu importe. Une fois opéré un premier tri, je trouve souvent des interlocutrices de qualité.

Pour partie, ces discussions m’ont aidé à former mon projet, à me forger une culture spécifique. Ici, j’ai pu m’affranchir des idées reçues grâce à l’ouverture d’esprit ambiante, et confronter mes idées aux réactions de personnes bien réelles. Obtenir des avis non tronqués par la honte a été un avantage précieux. J’ai pu préciser le sens de termes employés à tort et souvent mal compris, comme soumise, maître, esclave, punition, ou d’autres du même acabit. Ils sont utilisés pour ce qu’ils ont d’excitant et de provocateur, mais la plupart du temps la signification qu’on leur associe n’est pas conforme à leur sens premier. Ainsi beaucoup de femmes se nomment elles-mêmes soumises, alors qu’elles ne sont avides que d’un jeu très temporaire. Cela les excite, mais si elles peuvent se laisser aller, c’est uniquement pour en tirer du plaisir. Plus rares sont celles qui admettent que l’obéissance est quelque chose qui les habite profondément. Il y a aussi celles, plus nombreuses que je ne l’aurais cru, qui sont déjà prises en main.

Depuis des années donc, je parle avec des femmes expérimentées et sincères. Parmi celles qui m’ont donné une impression positive figure Charline, une demoiselle de 31 ans. Elle est connectée ce matin.

Il y a près de trois ans que je la connais et que je la croise de temps à autre. Je n’ai fait que discuter avec elle, et uniquement sur Internet. Je sais à quoi elle ressemble pour l’avoir vue en visioconférence, mais rien de plus. Quand je l’ai abordée la première fois, elle était en couple. À cette époque, mon idéal de vie n’était encore qu’un vague projet. Je n’étais pas encore prêt mais j’ai échangé librement avec elle. Elle me reconnaît comme dominant, bien qu’elle sache que je n’ai pas d’expérience pratique. Au début elle avait l’air heureuse, elle venait bavarder pour se changer les idées. Mais il y a six mois elle a quitté son homme, qui était aussi son maître. Depuis elle traîne plus souvent sur Internet, pour tuer le temps selon elle. Elle me répète à loisir qu’elle a besoin de réfléchir, qu’elle n’est pas prête à s’investir. Pourtant, tout dans son comportement signale qu’elle est disponible.

Depuis le début de nos échanges elle me parle de ses pulsions, de sa passivité, de la découverte de sa docilité et de l’excitation qu’elle en retire depuis l’adolescence. Pourquoi est-ce que ça lui plaît ? Elle ne l’a jamais dit. Et pour ce que j’en sais, l’introspection n’est pas le fort des soumises. Peut-être ont-elles trop honte pour chercher à comprendre qui elles sont. Peut-être ne veulent-elles pas creuser le sujet parce que ça irait à l’encontre du mystère qu’elles préfèrent et qui entretient leur excitation.

Pendant ces conversations, son manque d’assurance ne l’a jamais empêchée de me provoquer, comme si son expérience pratique pouvait lui donner un avantage sur moi. Avec le temps, une certaine complicité est née entre nous et j’ai toujours trouvé charmante sa façon de me taquiner. Elle a cette façon de s’offrir sans le dire, de façon très suggérée, très féminine. Avec le temps, je suis devenu son confident. Plus je l’ai été et plus elle s’est montrée provocante et joueuse avec moi. Jusqu’ici, malgré le plaisir d’être courtisé, je ne lui ai jamais répondu.

Charline est une guimauve malléable dans l’attente évidente d’un guide. Ces derniers mois de séduction de sa part me paraissent de très bon augure et cette adorable jeune femme pourrait me plaire. Je vais la tester, fouetter son ego et voir si elle est à la hauteur de tout ce qu’elle a pu me dire.

À peine suis-je connecté qu’elle vient me saluer. Je lui réponds et j’échange avec elle quelques banalités vite expédiées. Au milieu de ces platitudes, je lui demande ce qu’elle a prévu de faire aujourd’hui.

Rien.

Je lui demande ensuite si elle est toujours célibataire.

Un peu surprise, j’imagine, par mes façons directes auxquelles je ne l’ai pas habituée, elle finit par écrire un oui laconique.

Satisfait, je tape les dix chiffres de mon numéro de téléphone.

Son étonnement s’exprime par deux questions ridicules qui trahissent sa fébrilité. L’une pour savoir si c’est mon numéro et l’autre pour savoir si je veux qu’elle m’appelle.

Je ne réponds pas.

Au bout de cinq minutes, mon portable sonne.

‒ Bonjour, euh… c’est Marc ?

‒ Bonjour Charline. Oui, bien sûr, qui veux-tu que ce soit ? Tu es enrouée ?

‒ Non. C’est ma voix.

Je lui réponds qu’elle a une voix grave et que ce n’est pas désagréable, puis j’entre dans le vif du sujet.

‒ Je voulais te dire que je n’ai plus envie de discuter avec toi sur Internet. C’est la dernière fois aujourd’hui, quoi qu’il arrive.

Je la laisse digérer l’estocade. Après un silence elle me demande pourquoi, avec une intonation qui traduit sinon de la peine, du moins une sorte de déception. C’est bon signe.

‒ Je veux te voir.

‒ Euh… si tu veux, j’allume, me dit-elle en pensant manifestement à sa webcam.

‒ Non, tu n’as pas compris. Je viens de te dire que je ne discuterai plus avec toi sur Internet. Je t’offre une chance de me taquiner en vrai, je t’invite au restaurant à midi. Il est 10 h, tu as deux heures devant toi pour te préparer et me retrouver à Paris. Tu as de quoi noter l’adresse ?

‒ Euh, oui… enfin non, attends s’il te plaît.

Quand elle revient, je reprends sans lui laisser le temps d’en placer une.

‒ 228, rue de Rivoli, dans le Ier arrondissement. Restaurant Le Dali, que tu trouveras dans l’hôtel Le Meurice.

Je lui demande si elle a des questions.

Un silence passe.

‒ Si tu te moques de moi, ce n’est pas sympa.

‒ Ne t’inquiète pas, je ne me moquerai jamais de toi. Il se trouve que maintenant je suis disposé à te rencontrer. Tout ce que je t’ai dit sur moi est vrai. M’aurais-tu raconté des histoires de ton côté ?

‒ Non !

‒ Tant mieux. Je ne te promets rien d’autre qu’un bon moment dans un cadre agréable. Pomponne-toi, fais-toi belle.

‒ Me pomponner ?

‒ Oui. Ce restaurant n’est pas une gargote de province et j’aimerais que tu te sentes à l’aise. Tailleur si tu en as un, ce que tu as de plus classe à défaut. Ça ira ?

‒ Oui, je pense, dit-elle hésitante.

‒ Très bien. À tout à l’heure.

Elle a eu l’air surprise, mais je suis sûr qu’elle viendra. Elle est trop curieuse pour me poser un lapin.

Je passe la demi-heure suivante à rechercher des informations sur Internet, en même temps que je discute avec d’autres personnes. Puis je prépare quelques petites choses pour ce premier rendez-vous. À 11 h, après m’être rasé, avoir pris une douche et enfilé un costume, je prends la route de Paris.

Arrivé sans encombre au cœur de la capitale, j’ai un peu d’avance. Je confie mon véhicule au voiturier, et préviens le maître d’hôtel que j’attends une jeune femme. Je désire qu’il l’installe dos à l’entrée et qu’il l’invite à patienter. Cela fait, je rejoins le bar autant pour profiter du pianiste que pour guetter l’arrivée de Charline.

Je la vois entrer dans le hall à midi vingt. Elle est en retard, mais pas autant que je l’avais imaginé. Elle a mis une jupe grise à la coupe simple qui descend au-dessus de ses genoux. Ses jambes sont habillées de nylon noir tout ce qu’il y a de classique. Son manteau est une sorte de trench-coat noir, elle porte une épaisse écharpe rose et elle est chaussée de bottes à talons. Elle a fait un effort notable pour être à la hauteur du lieu, mais sa garde-robe ne devait rien contenir qui puisse la mettre vraiment à l’aise. D’ailleurs elle semble intimidée.

Juste après son arrivée, elle est restée interdite. Maintenant elle se dirige vers la réception et échappe à ma vue. Puis je la vois entrer dans le restaurant. Quand elle est hors de vue, j’écoute le pianiste finir une sonate de Mozart. L’interprète est de talent et le plaisir qu’il prend à jouer est visible.

Le morceau fini, il récolte des applaudissements discrets.

À l’entrée du restaurant, j’observe Charline avant de la rejoindre. Comme je l’ai demandé, elle est installée dans un coin de la salle. Elle est assise bien droite, dans le fauteuil empire qui lui a été indiqué, et elle admire la toile monumentale qui orne le plafond. Ce faisant, elle tourne la tête et m’aperçoit. Elle se lève pour me faire une bise mais je refuse et l’invite à se rasseoir sans un mot.

La qualité d’une relation se joue aussi dans les détails, et j’ai bien l’intention de lui faire comprendre que je ne suis pas un vulgaire copain.

Comme elle va parler, je lui fais signe de se taire. La contenance qu’elle essayait de se donner tombe en poussière instantanément. J’adore !

‒ Bonjour Charline, je suis ravi que tu sois venue. Pour que cette rencontre soit un plaisir réciproque, je vais te donner quelques consignes. J’aimerais que tu les suives à la lettre. Es-tu disposée à les entendre ?

Elle est mal à l’aise et ses regards à droite et à gauche trahissent sa peur que notre conversation soit entendue. Sa crainte est d’autant plus fondée que Le Dali n’est pas une brasserie. Il règne dans cette belle salle une atmosphère feutrée et douce, très différente du vacarme des cafés parisiens. Parce qu’elle ne me répond pas assez vite, je m’amuse à répéter ma question un peu plus fort.

‒ Oui, bien sûr, me dit-elle sur un ton mi-amusé mi-effaré. Mais ne parle pas si fort s’il te plaît.

‒ Il ne tient qu’à toi que je ne hurle pas, non ?

Elle en convient à voix basse.

‒ Bien. Pour commencer, j’aimerais que tu te lèves et que tu fasses un tour sur toi-même.

Elle n’a pas envie de donner l’impression qu’elle se donne en spectacle. Elle a sûrement peur de ce que les gens vont penser de son petit manège. Ils ne vont rien penser de mal bien entendu, simplement qu’une jeune femme montre sa nouvelle toilette à son mari. Mais elle, elle sait bien qu’il ne s’agit pas de ça, et c’est ce qui fait le sel de la situation.

Je veux qu’elle s’exhibe, qu’elle obéisse et elle est stressée parce qu’elle ne s’attendait pas à ce que je sois aussi ferme. Elle ne dit plus rien et n’ose plus me regarder. Elle semble prostrée sur son fauteuil et hésite. Puis elle se lève doucement, fait un pas de côté et, trop rapidement, tourne une fois sur elle-même. Comme je lui demande de recommencer plus doucement, elle obtempère.

Je la détaille pour qu’elle se sente déshabillée du regard. Elle porte un pull chaussette blanc. Sa jupe ne la serre pas, mais en pivotant elle se plaque sur ses fesses et sur ses hanches. Cela me permet de discerner qu’elle porte un string dont a priori j’aime la coupe. Elle doit mesurer un mètre soixante-cinq pour peut-être soixante kilos. Son fessier est rebondi et elle a une belle poitrine. J’aime ses jambes. Ses mollets sont bien marqués même s’ils nagent un peu dans ses bottes en faux cuir. Le nylon qui enserre ses jambes est de piètre qualité, ou trop grand pour elle si bien qu’il habille ses genoux d’un voile inégal. Alors qu’elle est de dos, je peux voir la base de sa nuque dégagée. Elle est délicate. Ses cheveux sont coupés au carré. J’aime beaucoup son visage. Sa jolie bouche, son petit nez, ses sourcils épilés et ses jolis yeux marron sont autant d’attraits. Ses lèvres brillent, mais elle n’est pas trop maquillée. Je note que mon interlocutrice n’a pas lésiné sur le parfum.

Bref, Charline n’a pas un physique exceptionnel, mais il n’y a rien de vulgaire chez elle, ce qui m’aurait rebuté. De plus, il émane de son visage un charme très plaisant, le genre de beauté naturelle qu’aucun artifice au monde ne peut recréer.

‒ Tu peux t’asseoir, lui dis-je, en la gratifiant d’un regard plus souriant. Pose tes mains sur la table.

Elles sont belles. Ses ongles sont coupés courts et vernis transparents.

Pendant que je passe en revue le moindre détail de sa tenue, de son physique et de son attitude, elle reste très gênée. Cela me plaît beaucoup de la voir ainsi. De façon très féminine, elle se montre passive face à cette mise à nu qui lui est imposée, et contre laquelle elle ne lutte pas. Les yeux baissés, les joues empourprées, elle attend que je décide de la fin de son supplice.

Le serveur arrive, nous tend à chacun une carte et nous demande si nous désirons un apéritif. J’invite Charline à choisir ce qui lui fera le plus plaisir. Elle bredouille qu’elle ne sait pas et le serveur nous propose de repasser un peu plus tard. Alors qu’il s’éloigne, j’entame la conversation.

‒ Pour quelqu’un qui s’est amusé jusqu’ici à me lancer des piques en toutes occasions, je te trouve très docile. Qu’en penses-tu ?

‒ Comment ça ?

‒ Charline, tu es une jeune femme intelligente. Ne cherche pas à biaiser en répondant à mes questions par d’autres questions. C’est tout à fait inutile. Prends le temps de réfléchir, et réponds-moi honnêtement.

Alors qu’elle réfléchit, elle me regarde avec un air gentiment réprobateur. Je sens qu’elle doute, qu’elle ne s’attendait pas à avoir en face d’elle un homme plus exigeant et intransigeant que le confident que j’ai été jusqu’à présent. Elle ne craque pas cependant, et avec un sourire subitement retrouvé, elle me lance d’un air badin :

‒ Je fais la docile pour te mettre en confiance et mieux t’asticoter quand tu ne t’y attendras plus.

Cette réponse me donne l’occasion que j’espérais de pouvoir la tester sans ménagement.

‒ Tu es bien sûre de ça ?

‒ Oui oui, dit-elle, avec un sourire renforcé.

‒ Bon, j’aime autant le savoir maintenant.

‒ Ah bon ?

‒ Oui. Tu viens de m’avouer que tu as toujours singé la soumise pour une raison qui m’échappe. Je n’aime pas les menteuses, tu le sais bien. Et comme nous n’avons pas encore commandé, je vais éviter de passer un repas entier avec une mythomane sans relief.

Comme elle tente de prendre la parole, je l’assassine d’un Tais toi ! lapidaire.

Elle se fige instantanément.

Je simule la colère en haussant la voix. Au fur et à mesure que je la juge sévèrement elle se recroqueville sur son fauteuil et regarde ses pieds comme une enfant prise en faute. À son expression contrite, je vois qu’elle a pris ces accusations en pleine figure. Elle est émouvante de sensibilité et la voir dans cet état me plaît au plus haut point. Qu’elle soit mon aînée de trois ans ne fait qu’accroître le plaisir que j’ai à l’avoir entre mes mains. Cependant, je ne veux pas faire durer le supplice trop longtemps.

‒ Tu voulais dire quelque chose ?

‒ Oui… Tu ne m’as pas laissé m’expliquer ! C’était juste une plaisanterie. Je n’ai jamais menti. Je t’en prie, crois-moi.

Elle est adorable. Je la fais languir autant pour profiter de cette situation, que pour qu’elle comprenne qu’elle n’a plus intérêt à se montrer taquine avec moi.

‒ Tu me demandes de revoir mon jugement ?

‒ Oui, je ne te décevrai pas.

‒ Bon… Depuis que je te connais, tu n’as eu de cesse de me railler à propos de mon soi-disant caractère de dominant et de mon absence d’expérience. Or jusqu’à ton dérapage, tu t’es montrée un modèle d’obéissance à la hauteur de tes prétentions. Pourquoi ce comportement paradoxal ?

Elle a écouté, concentrée, et j’ai perçu de la panique dans ses yeux. Elle a peur de se tromper et elle est charmante dans son désarroi.

‒ En fait, je ne pensais pas que tu serais aussi dur. Je ne m’y attendais pas… J’ai juste été comme j’ai toujours été avec toi. Je n’ai pas compris que tu ne plaisantais pas.

‒ Je sais parfaitement tout cela, c’est évident. Alors ne me donne pas l’impression que tu ménages ta fierté en gagnant du temps, et réponds sans ambages à ma question.

‒ Oui, d’accord. Tu m’attires depuis que je discute avec toi, et encore plus récemment. Mais tu m’as toujours repoussée alors j’ai pris l’habitude de me moquer de toi.

‒ Bien.

Cet aveu est une vraie jouissance psychologique, mais il est hors de question que je le lui montre. Elle a dit cela les yeux baissés et maintenant elle me regarde avec avidité. Elle veut savoir quel sort je lui réserve.

‒ Dans quel état d’esprit es-tu maintenant ?

‒ Je ne suis pas à l’aise, dit-elle en baissant la tête de nouveau.

‒ Ça me plaît bien, lui dis-je en souriant. Va faire un tour aux toilettes pour te repoudrer le nez. Ensuite, nous profiterons de ce lieu et de l’excellente cuisine que l’on y sert.

Alors qu’elle se lève, je décide d’accroître mon avantage.

‒ Je te prie de revenir avec ton string dans la main, afin que tu puisses me le confier. Et si tu veux me faire plaisir, tu ne t’assiéras plus sur ta jupe mais sur tes fesses, à même le fauteuil.

Elle rougit instantanément, puis s’éloigne sans un mot.

Cette demoiselle est une excellente surprise ! Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit aussi bien disposée. Mais patience, le soufflé peut retomber.

Charline est partie depuis un moment quand le serveur repasse. Je le soupçonne d’avoir eu la délicatesse de nous laisser seuls, pour ne pas ajouter à l’embarras de la jeune femme. Comme elle n’est pas revenue, je lui commande un apéritif. Avec espièglerie, et pour lui faire payer l’attente par un zeste de gêne, je lui prends un Fond de Culotte. Ce cocktail à base de Suze et de crème de cassis me paraît adapté aux goûts féminins.

Après dix minutes passées aux toilettes, Charline reparaît enfin. Elle revient en serrant son string en boule dans sa main droite.

Elle s’assied en faisant attention à relever sa jupe discrètement, pour poser ses fesses sur le cuir du siège, puis elle attend ce qui va se passer. Je lui tends la main pour qu’elle me donne l’étoffe qui enserrait son intimité, et l’étale sur le rebord de la table.

‒ Jolie pièce. J’ai le plaisir de constater que ce n’est pas trop plein de dentelles, comme tes congénères en raffolent souvent. Le soutien-gorge est assorti ? lui dis-je en faisant jouer sa lingerie entre deux doigts.

‒ Non… Je n’ai pas d’ensemble coordonné, dit-elle dans un souffle.

Je sais qu’elle n’est pas à l’aise financièrement et j’ai la sensation que cet aveu lui a coûté cher. Ce n’était pas mon intention et je devrais y faire attention à l’avenir. Je n’ai pas envie de l’épater vulgairement avec mon aisance matérielle. L’inviter au Meurice n’avait pour but que de lui faire plaisir, et lui montrer que je lui accorde de l’importance. Ce n’était pas pour la dominer par mon portefeuille, même si ça risque d’arriver.

Soudain, je me rends compte que son string est un peu humide, et pas comme j’aurais pu l’imaginer. Il sent très fort le savon.

Elle vient de le laver, ce qui explique le temps qu’elle a passé aux toilettes.

Je regarde l’apprentie lavandière avec un sourire incrédule.

‒ Je pense que tu as eu ta part d’émotions fortes pour la journée. Et puis je ne suis pas vraiment ton maître à cet instant. Je passe donc sous silence ce savonnage intempestif.

‒ Merci, dit-elle, aussi souriante que penaude.

‒ Bien, dis-je, plus détendu. Le serveur est repassé pendant ton absence. J’ai pris la liberté de commander un cocktail pour toi.

‒ Merci. Qu’est-ce que c’est ? C’est joli.

‒ C’est le fond de culotte que tu n’as pas voulu me rapporter.

Elle reste interdite un moment, avant que je lui donne l’explication. Sa gêne passe et nous trinquons.

Tout le reste du repas, l’ambiance est bonne. Le résultat que je recherchais est atteint, elle a bien compris à qui elle avait affaire. La suite de la rencontre n’a pas besoin d’être orientée sur le sujet de sa docilité. Nous n’abordons plus que des sujets ne concernant pas nos deux caractères respectifs, ce qui ne l’empêche pas de conserver une attitude humble.

Si elle s’amuse des noms alambiqués des plats sur la carte, la qualité du service, le raffinement de la cuisine et le décor l’éblouissent. Nous discutons beaucoup pendant le repas, elle est curieuse et enjouée. Grâce à tout ce que nous savons déjà l’un de l’autre, la complicité est vite de la partie.

Le dessert terminé, Charline fait un tour supplémentaire aux toilettes et nous nous retrouvons tous les deux rue de Rivoli, devant l’entrée de l’hôtel.

Elle est emmitouflée dans son manteau et son visage est à moitié caché par son écharpe rose. Il fait froid, mais pas tant que ça. Je pense surtout qu’elle cache son expression. Elle ne veut pas que je lise sur son visage. Seuls ses yeux sont visibles et ils brillent.

Cette femme, dont j’ai cinglé l’ego, me semble conquise. Elle me plaît et j’ai envie d’en savoir plus.

‒ Qu’as-tu pensé de ce rendez-vous ? lui dis-je en reprenant l’attitude que j’ai eue avec elle au début du déjeuner.

‒ Je n’avais jamais mangé dans un restaurant aussi chic. Merci.

‒ Je suis ravi que ça t’ait plu, mais je ne te parle pas de ça et tu le sais bien.

‒ Oui, dit-elle dans un souffle.

‒ J’ai envie d’en savoir plus à ton sujet. Et toi ?

‒ Moi aussi.

‒ Malgré toute l’envergure de mon inexpérience, il me semble qu’il y a des choix qui se font de façon plus franche. Regarde-moi dans les yeux et assume ton choix. Dis-moi que tu veux être ma soumise ou séparons-nous bons amis.

Elle relève la tête et me regarde d’un air mal assuré.

‒ J’aimerais être ta soumise.

Comme je la regarde sans dire un mot, elle baisse la tête de nouveau.

‒ Bien.

Elle semble contente. On dirait une fleur qui attend d’être cueillie. Alors qu’elle regarde toujours au sol, je lui caresse doucement la joue, passe ma main dans son cou, sur sa nuque et la saisis fermement par les cheveux. Elle se laisse faire, un peu raide. Je lui dépose sur les lèvres un baiser aussi doux que je la tiens avec force et je sens qu’elle s’abandonne. Ses mains puis ses bras se reposent sur moi et elle me laisse prendre sa bouche.

Maintenant que le stress du premier baiser est passé, elle est plus détendue. Elle me sourit en silence.

‒ Tu vas rentrer chez toi et attendre. C’est moi qui te contacterai. À partir de maintenant tu es à ma disposition. C’est clair ?

‒ Oui, murmure-t-elle.

De la poche intérieure de mon costume je sors une enveloppe et la lui tends.

‒ Prends le temps de lire et d’obéir à ces consignes. J’attends de toi que tu t’y conformes à la lettre.

Le pli en sa possession, elle ne dit plus rien. Passive, elle écoute ce que je lui dis.

Avant de la congédier, je lui adresse un dernier sourire.

‒ Je garde ton string en otage, je te le rendrai la prochaine fois.

Ça la fait rire de bon cœur.

Comme je lui impose de me quitter, elle s’éloigne. Elle se retourne deux fois avant que je la perde de vue dans la foule.

La demoiselle partie, je récupère mon véhicule. Chloé m’attend chez elle ce soir, mais n’ayant rien à faire d’ici là, j’aime autant aller me reposer.

Elle a rejeté mon idée de tester la possible docilité d’Olivier. Par contre, elle a organisé un dîner à trois avec Amélie. Elle ne m’a pas dit pourquoi, mais je sens qu’il y a anguille sous roche. Je ne serais pas étonné qu’il se passe quelque chose. De toute façon, je ne l’ai pas vue depuis quinze jours ma Chloé, alors quoi qu’il arrive, ça me fera plaisir de passer la soirée avec elle.

Sur l’autoroute, je repense à Charline. Je n’ai pas eu de coup de foudre, mais je suis séduit par son attitude. Sa réaction au contenu de l’enveloppe m’aidera à mieux la cerner…

 

L’extrait s’arrête là. 

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