Steve Haldeman

Quelques unes des couvertures des nombreuses éditions d’Histoire d’O. La troisième, que je ne connaissais pas et que j’ai trouvée sur internet, ne rend pas hommage au roman…

Histoire d'O, de Pauline Réage

Vous pouvez lire l’article, ou le découvrir en version audio avec le lecteur ci-dessous. Il est également disponible en vidéo sur ma chaîne YouTube (lien dans le menu), et prochainement sur toutes les plates-formes de Podcast.

Histoire d’O, c’est un roman qui raconte le parcours d’une jeune femme qui devient esclave de son plein gré, par amour.

Aujourd’hui, je suis ravi de vous parler de ce livre qui m’a beaucoup plu, et qui fait partie des incontournables de ma bibliothèque pour plusieurs raisons que je vais aborder.

 

Tout d’abord, quand je lis Histoire d’O pour la première fois, j’ai 16 ans.

Je l’ai trouvé par hasard dans la bibliothèque familiale, et mon père me dira plus tard qu’il n’aurait pas dû s’y trouver.

Je ne me souviens pas de la couverture. Je veux dire par là que je ne sais plus si elle était aguicheuse comme le sont celles des éditions récentes, mais je me souviens d’avoir lu la préface, alors qu’habituellement je n’accordais pas beaucoup d’attention à ces introductions, surtout quand elles n’étaient pas de l’auteur.

Celle-ci avait été rédigée par un certain Jean Paulhan, dont je ne savais rien à ce moment-là. Cette personne m’est apparue détestable sur le coup, du moins assez misogyne.

Puis j’ai commencé cette histoire qui, du haut de mon adolescence, a vite senti le soufre. D’abord, je ne suis pas sûr que mes parents auraient validé cette lecture, ce qui fait que j’ai découvert ce roman comme un clandestin. Ce petit frisson d’interdit n’était pas pour me déplaire d’ailleurs !

Mais surtout, dès les premières lignes, je ressens comme un malaise. L’entrée en matière rebute mes valeurs morales, et pourtant l’obéissance d’O me procure des émotions puissantes.

Sa mise à nu continue jusqu’aux lignes qui resteront gravées dans mon esprit, la scène du découpage de son soutien-gorge par son amant, avec un canif.

A ce stade de la lecture, alors qu’il ne s’est encore quasiment rien passé, je suis dans l’état d’esprit de celui qui voudrait bien sauver l’héroïne ! Et ce qui me perturbe, c’est que si j’ai cette envie de la soustraire à son bourreau, parfois même de la secouer pour la sortir de cette sorte d’hypnose qu’elle a l’air de subir, ce n’est pas vraiment pour lui rendre sa liberté. Ce serait plutôt pour me l’accaparer… Et ça, à l’âge que j’ai à ce moment-là, c’est quelque chose que je ne m’explique pas encore.

Néanmoins, en avançant dans ma lecture, l’incompréhension persiste, et même elle s’amplifie. Car O n’a pas besoin d’être sauvée. Elle accepte ce qu’on lui demande, sans difficulté. Cela n’a pas l’air de la gêner le moins du monde ! Même si elle en souffre, elle est consentante ! Et ça, pour moi, c’est consternant !

Je me souviens avoir lu le reste du livre avec cette même impression de gêne et d’incompréhension, teintée d’une excitation sexuelle permanente. On pourrait me dire qu’alors j’ai l’âge des premiers émois, et que l’histoire ne m’incite pas particulièrement à me concentrer sur sa qualité littéraire, mais ce serait une mauvaise explication. Car le pouvoir de ce livre sur ma libido ne s’est jamais démenti avec le temps.

 

Il y a une autre chose qui me perturbe lorsque je lis ce livre pour la première fois, c’est la façon dont sont dépeints les personnages masculins. J’ai vite considéré René comme un loser, et Sir Stephen, sous ses airs de Lord anglais, est une vulgaire crapule. Comment O peut-elle ne pas le voir ? Comment peuvent-ils lui inspirer de l’amour ?

Mais comme je l’ai déjà dit, j’ai 16 ans à ce moment-là. Je ne connais rien aux femmes, et je n’ai pas le recul nécessaire pour comprendre ce livre. Même si je l’avais voulu, cela aurait été compliqué. Car nous sommes en 1989, et internet n’est pas encore là. Je n’ai aucun moyen d’apprendre le but que Pauline Réage poursuivait en écrivant ce roman, car je ne suis pas sûr que ma professeure de littérature aurait pu m’éclairer, ni qu’elle l’aurait voulu..

Pour en savoir plus, il faudra donc que j’attende et accessoirement, que je mûrisse.

 

Ce n’est que des années plus tard que j’apprends enfin ce qu’il en est.

Histoire d’O est un roman construit sur les fantasmes de l’auteure. Elle a écrit ce qui l’excitait, sans faux-semblants.

Et il faut être particulièrement honnête avec soi-même pour pouvoir écrire ces choses-là. Il fallait même avoir une belle dose de courage pour écrire ce roman et pour le publier, surtout pour la femme qu’est l’auteure. Pour le comprendre, je vais faire une parenthèse pour vous remettre dans le contexte.

Le livre est publié en 1954. C’est à dire à un moment où les femmes françaises n’ont le droit de vote que depuis dix ans, et où il faudra attendre onze ans de plus pour qu’elles puissent travailler et avoir un compte en banque, sans avoir besoin de l’autorisation de leur mari.

Les plus jeunes peuvent avoir du mal à se rendre compte de ce que cela représentait comme état d’esprit dans la société, alors j’ai trouvé quelques anecdotes que j’espère parlantes.

– Les femmes ne sont autorisées à entrer dans la Bourse de Paris qu’en 1967. Les traders de l’époque ont dû se rendre compte que des hommes de ménage, ça faisait désordre…

– En 1972, l’école Polytechnique intègre les 7 premières étudiantes de son histoire, sur 315 élèves. Cette année-là c’est Anne Chopinet, une de ces 7 femmes, qui finit major de promotion. Quand j’y pense, quelle gifle pour ses 308 camarades, et pour ceux qui s’opposaient encore à la mixité l’année précédente !

– 30 ans après la sortie d’Histoire d’O, alors que j’entre en 6ème, c’est un collège non mixte que j’intègre…

Voilà un portrait rapide de la société dans laquelle vit Pauline Réage, quand elle écrit son roman.

 

Les lignes précédentes permettent de jeter un regard actualisé sur la préface de Jean Paulhan.

En 1954, il a 70 ans. Il n’est donc plus tout jeune. Et compte tenu de la misogynie de l’époque, son texte parait déjà moins déplacé. Il n’est pas particulièrement agréable, mais il est dans l’air du temps.

 

Pour se forger un avis sur Histoire d’O, il faut savoir qui est son auteure, Pauline Réage, de son vrai nom Anne Cécile Desclos, et ce qui l’a amenée à écrire ce livre qui va la rendre célèbre.

Femme de lettres, libre et influente dans les cercles littéraires, elle est amoureuse du fameux Jean Paulhan. Un jour, il lui dit que « les femmes ne peuvent pas écrire de roman érotique ». Elle le prend au mot, et pour le séduire, elle écrit cette histoire en guise de lettre d’amour.

Il semble bien que l’auteure n’eût pas imaginé qu’elle serait publiée, et que ce soit Jean Paulhan qui aurait insisté pour que ce soit le cas. Aurait-elle été aussi honnête dans ce livre si elle avait su ? Aurait-elle couché sur le papier ses fantasmes aussi aboutis ?

Peut-être pas.

 

Le décor étant posé, je peux vous dire ce que ce livre m’a apporté.

Tout d’abord, j’ai vu dans cette œuvre une formidable liberté d’expression. Le genre de Liberté qui s’écrit avec une majuscule et que l’on doit protéger à tout prix.

L’audace de l’auteure et celle de celui qui l’a publiée leur vaudront le scandale, les critiques et la censure, en plus de risques judiciaires. Finalement, le procès n’aura pas lieu, mais elle a bien fait de choisir l’anonymat !

De ce point de vue, le courage de Pauline Réage est pour moi une source d’inspiration.

 

Parlons maintenant de la qualité littéraire d’Histoire d’O.

Ces dernières années, j’ai entendu et lu des critiques peu élogieuses, et je les comprends. Le roman est d’une autre époque. Pour autant le style classique ne me rebute pas, au contraire. Je trouve qu’il donne une force au récit, qui aurait pu sombrer dans la vulgarité sans cela.

Et puis chaque écrivain a son style, dont il est difficile de sortir. Pour ma part, tant que la qualité de l’expression ne dessert pas le fond, alors l’essentiel est atteint. Or Dominique Aury, son pseudonyme professionnel, était une intellectuelle de haut vol, dont l’apport à la culture française ne se limite pas à ce livre. Cela se voit bien dans ses écrits. En relisant quelques lignes du roman pour les besoins de cet article, j’ai trouvé que son style était toujours aussi savoureux.

 

Enfin, si Histoire d’O a contribué à me forger une culture spécifique, c’est aussi un livre qui m’a poussé à écrire. Ses deux personnages masculins, René et Sir Stephen, sont des caricatures d’hommes qui me déplaisent. Et ils ne sont pas les seuls. Après Pauline Réage, d’autres femmes ont pris la plume pour enrichir le genre du roman érotique, et bien souvent leurs personnages masculins donnaient des hommes une vision peu glorieuse. J’ai souvent découvert des amants aux motivations ambiguës, des baiseurs creux à la moralité discutable, quand il ne s’agissait pas de sombres connards. En tous les cas, j’ai rarement vu des hommes dominants mis en valeur. Mais il est vrai que les bad boys attirent, et que les figures d’autorité ne sont pas toujours bien vues, surtout dans notre société qui donne de plus en plus la part belle aux hommes déconstruits.

Il me paraissait intéressant de créer un personnage dominant qui ait plus de substance. Marc, celui que j’ai créé, n’est pas un enfant de cœur, je ne vais pas vous dire le contraire. Mais en écrivant son histoire à la première personne, je donne au lecteur la possibilité de comprendre qu’il est intelligent, réfléchi et que s’il a du mal à se remettre en question, il est avant tout quelqu’un d’altruiste. C’est un homme bon, en quête d’une histoire d’amour à la hauteur de ses aspirations.

 

Je vous remercie d’avoir lu ces lignes, ou d’avoir écouté le podcast. J’espère que cela vous aura appris quelque chose et que, le cas échéant, je vous aurai donné envie de découvrir ou redécouvrir ce roman.

 

Page wikipedia de l’auteure d’Histoire d’O : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Aury

Page wikipedia d’Histoire d’O : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_d%27O

 

Mon livre : Ma soumise, mon amour, T1

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2 réflexions sur “Histoire d’O, de Pauline Réage”

  1. Bonjour Guenther,
    Ces relations sont effectivement intenses et peuvent amener très loin, comme dans le récit d’Histoire d’O. Ce qui compte c’est de pouvoir s’épanouir avec sa/son partenaire, sans perdre de vue ses propres désirs.
    Bien à vous,
    Rose Haldeman

  2. Guenther Furchtbar

    Bien ercrit du point de vue feminin.
    Comme lecteur male-sub-maso-trans j’ai senti cette meme soumission sous la volontė d’une femme dominante qui me force devenir une putain pour toute les interessė des deux sex, qui me dresse sans merci et finalement me vent à un couple lesbien pour leur servire pour tout leurs besoins et plaisir.
    J’accepte ca comme O pour mon destin!

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